À propos du Journal du dimanche, et d'une pétition du Monde contre « les idées d'extrême droite»

À propos du Journal du dimanche, et d'une pétition du Monde contre « les idées d'extrême droite»

Quelques jours après le licenciement de l’éditocrate Geoffroy Lejeune, viré de la direction de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, dont le propriétaire le trouvait soudainement trop réactionnaire : on apprend que ce journaliste militant est nommé à la direction du Journal du dimanche (aka Le JDD), propriété de Vincent Bolloré.

Cela soulève, au sein des coteries où l’on soutient sans rire que Le JDD serait un hebdomadaire «de référence», une si vive émotion, que le journal Le Monde publie très vite une pétition paraphée par «400 personnalités du monde politique, économique, social, culturel, associatif ou sportif», qui proclame – c’est son titre – que «“Le JDD“ ne peut devenir un journal au service des idées d’extrême droite».

Cette inquiétude n’est certes pas infondée : quand Geoffroy Lejeune dirigeait Valeurs actuelles, cette publication, largement dédiée à la promotion frénétique d’Éric Zemmour, a notamment été condamné pour injure publique à caractère raciste contre la députée Danièle Obono, née au Gabon. Ce n’est donc pas sans raisons que les signataires de la pétition publiée par Le Monde s’alarment de l’arrivée à la direction «d’un grand média national» de cette «personnalité d’extrême droite» - qui constitue selon eux «un dangereux précédent qui nous concerne tous».

Bravo : cette mobilisation donne d’abord très envie d’applaudir.

Mais voilà : un minuscule détail vient calmer cet élan.

En effet : on trouve parmi ces signataires quelques notabilités dont le moins qui se puisse dire est qu’elles n’ont pas toujours fait montre d’une telle intransigeance dans leur engagement contre une extrême droite qui prospère principalement, depuis plusieurs décennies, dans la normalisation de l’islamophobie et dans la fustigation des mobilisations progressistes.

Tartuffes

Ainsi d’Élisabeth Badinter, actionnaire principale du groupe Publicis et philosophe, qui, douze ans avant de parapher en 2023 la vertueuse pétition du Monde, faisait, en 2011, dans ce même journal, et pour le plus grand bénéfice de la présidente du Front national (devenu depuis le Rassemblement national), cette déclaration proprement ahurissante : «En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité.» (Quelques années plus tard : Publicis allait se mettre au service de la promotion de l’Arabie saoudite, monarchie absolue radicalement religieuse – car la défense de la laïcité ne doit pas non plus entraver la bonne marche des affaires.)

Le cas de Pascal Bruckner, autre signataire de la méritoire tribune publiée par Le Monde, est un peu différent, puisqu’avant de s’indigner de la nomination de Geoffroy Lejeune à la direction du JDD, ce résistant à géométrie variable a régulièrement accordé, sans le moindre état d’âme, des entretiens à... Valeurs actuelles, à l’époque où ce magazine était dirigé par le même Geoffroy Lejeune, dont l’extrémisme de droite ne le heurtait donc pas le moins du monde. Dans une interview publiée en 2020, il dénonçait par exemple, avec beaucoup d’allant, les ravages du «néoféminisme», de l’ «antiracisme» et du «décolonialisme».

Et il lançait encore, en février 2021, plusieurs mois après la publication de l’article infâme qui allait valoir à Valeurs actuelles une condamnation pour injure raciste envers la députée Obono, ce bruyant cri d’alarme : « L’homme blanc est pour cible. »

Et ce n’est pas tout à fait terminé, puisqu’on trouve encore, parmi les sommités qui ont courageusement signé la pétition du Monde, l’éditeur Antoine Gallimard, qui, en 2018, avait regretté en ces termes choisis, dans les pages du même journal, de devoir renoncer – temporairement - à la republication des immondes pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline : «Aujourd’hui, l’antisémitisme n'est plus du côté des chrétiens, mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline.»

Intolérable

Précisons-le, pour finir : il y a aussi, évidemment, des personnalités tout à fait respectables – et insoupçonnables de la moindre tolérance pour l’intolérable – parmi les signataires de la pétition refusant que Le JDD devienne «un journal au service des idées d’extrême droite».

Mais leurs voix seraient plus audibles si elles ne se mêlaient pas avec celles de personnages qui ont, de fait, participé, de près ou de loin, à la banalisation de ces idées. 

Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret