Cher Olivier Rafowicz,

Quelle semaine !

Le 20 août, vous vous offusquiez, sur votre compte X, d’une dépêche de l’AFP rapportant que « la Défense civile fai[sai]t état de 18 morts dans la bande de Gaza », affirmant que l’agence de presse « continue de relayer la propagande du Hamas » alors que vous lui auriez adressé « de nombreux avertissements » à ce propos, soit une brillante illustration de votre singulière conception de l’indépendance des médias. Cinq jours plus tard, le 25 août, l’armée israélienne, dont vous êtes porte-parole, bombardait l’hôpital Nasser de Khan Younès, tuant 20 personnes dont cinq journalistes et portant à 247, d’après le Haut Commissariat de l’ONU aux droits humains, le nombre de journalistes palestiniens tués par Israël depuis le 7 octobre 2023, mais sans doute ne s’étaient-ils et elles pas assez soumis à vos « avertissements ».

Vous aviez déjà eu l’occasion, cet été, de faire montre de votre grand respect pour le travail des professionnels des médias en déclarant, lors d’une interview sur BFM-TV le 25 juillet, que « des agences de presse extrêmement sérieuses, européennes, et certaines françaises, sont le relai de la propagande du Hamas, et participent, n’est-ce-pas, à la diffusion de photos et de textes bidons […] venant du Hamas », sans avancer un seul élément de preuve — et pour cause. Avant de vous faire carrément menaçant et d’évoquer, sur un ton particulièrement virulent, « toutes les photos qui sortent de Gaza aujourd’hui, qui sont distribuées par des journalistes souvent d’agences de presse malheureusement, je ne veux pas citer leurs noms pour ne pas créer ici de problématiques, mais j’ai les noms ».

« J’ai les noms. »

Nous ne savons pas si parmi ces noms se trouvaient ceux des journalistes Mariam Daqqa, 33 ans, qui travaillait pour l’agence Associated Press, Hossam al-Masri (49 ans, Reuters), Mohammad Salama (24 ans, al-Jazeera), Ahmad Abou Aziz (29 ans, Middle East Eye) et Moaz Abou Taha (27 ans, freelance), assassinés le 25 août dans le bombardement de l’hôpital Nasser. Une chose est toutefois certaine : Israël s’est débarrassé ce jour-là de cinq témoins gênants, qui continuaient, malgré les difficultés et les risques, de documenter la tragédie de la bande de Gaza, désormais officiellement en situation de famine d’après l’ONU, une famine dont vous avez récemment encore, contre toutes les évidences, nié l’existence, il est vrai qu’il est plus simple de piétiner la réalité lorsque l’on empêche les journalistes d’entrer dans une zone que l’on assiège — et que l’on élimine consciencieusement ceux qui se trouvent à l’intérieur.

Cher Olivier Rafowicz, vous êtes devenu en l’espace d’un peu moins de deux ans l’un des représentants les plus connus, dans les médias français, des autorités israéliennes, régulièrement sollicité, en tant que porte-parole de l’armée, par les chaînes d’information, pour y exposer le point de vue de l’État d’Israël — en général sans contradiction, on y reviendra. Une consultation de Grok, le chatbot d’intelligence artificielle disponible sur X, nous a ainsi appris que, depuis le 7 octobre 2023, BFM-TV vous avait cité dans 72 posts, LCI dans 25 posts, France Info dans 6 posts et CNews dans 98 posts, félicitations. Soit un total de plus de 200 citations, tout de même, autrement dit pas loin d’une tous les trois jours en moyenne, ce qui donne une idée du nombre d’invitations que vous avez reçues pour intervenir en plateau et de l’importance que les chaînes d’information semblent donner à vos paroles.

Et c’est ainsi qu’au cours des deux dernières années vous avez accumulé les interviews de toute évidence destinées à alimenter les médias et le public en informations fiables et loin de toute « propagande », comme le montre ce florilège — loin d’être exhaustif — de déclarations dont tout un chacun pourra apprécier la rigueur et la sincérité (1) :

- « Nous sommes là pour détruire le Hamas, pas pour envahir la bande de Gaza et la contrôler » (BFM-TV) ;

- « En aucun cas, Israël ne fait la guerre aux Palestiniens et aux Gazaouis » (CNews) ;

- « Depuis le départ, on a tout fait pour que les civils ne soient pas impliqués » (BFM-TV) ;

- « Tsahal ne vise ni les hôpitaux, ni les églises, ni les écoles » (LCI) ;

- « Il n’y aura pas de déplacement forcé pour la population palestinienne » (BFM-TV) ;

- « Il n’y a pas de famine à Gaza » (BFM-TV) ;

- Etc.

Sans oublier vos apparitions sur i24News, la chaîne d’information israélienne du milliardaire Patrick Drahi, connue pour son traitement particulièrement nuancé de l’actualité à Gaza, qui a publié sur X, depuis le 7 octobre 2023, pas moins de 248 posts relayant vos déclarations, lesquelles semblent parfois, sans doute parce que vous vous y sentez à la maison, encore plus outrancières que celles que vous réservez aux chaînes françaises, c’est dire. Entre autres (2) :

- « Au Moyen-Orient, les Arabes ne comprennent que la force alors nous allons utiliser le langage qu’ils comprennent » (novembre 2023) ;

- « En face, il y a des cinglés et des salopards déguisés en ninjas et nous c’est l’amour. La force d’Israël est l’amour pour le peuple et sa terre » (février 2025) ;

- « La communauté internationale reprend les chiffres du Hamas comme s’il s’agissait des Évangiles ou de la Torah » (août 2025) ;

- « Les milliers de victimes de Gaza sont le résultat de la volonté du Hamas de faire qu’il y ait des morts et des victimes à Gaza » (février 2025) ;

- « Le Hamas orchestre un chaos humanitaire pour accuser Israël, alors qu’Israël n’a aucun intérêt à provoquer une famine ou une crise humanitaire à Gaza » (juillet 2025) ;

- « On a affaire aujourd’hui à l’expression la plus directe du Hamas comme organisation nazie à but génocidaire » (février 2025) ;

- « L’ONU reprend le narratif du Hamas » (juin 2025) ;

- « Le Hamas a tendu un piège avec un narratif bidon de famine à Gaza, amplifié par des médias pseudo-naïfs » (août 2025)

- « L’ONU, au lieu de rester neutre et d’encourager la distribution d’aide humanitaire, fait obstacle. Comme si elle voulait que le Hamas continue de bénéficier de cette aide » (mai 2025) ;

- « Israël respecte les conventions de Genève » (mai 2025) ;

- Etc.

Des déclarations, chacun l’avouera, éminemment mesurées et au plus proche de la réalité des événements, et qui n’ont bien sûr rien à voir avec la « propagande » et les « fake news » que nous n’avez de cesse de dénoncer dans vos interventions et publications. Un souci de la vérité qui n’est pas nouveau chez vous, comme le savent celles et ceux qui suivent depuis longtemps l’actualité en Israël/Palestine et ne vous ont pas découvert à l’occasion de la séquence qui s’est ouverte le 7 octobre 2023, étant déjà familiers de vos interventions dans les médias français. On pense ici notamment à votre rôle durant la « deuxième intifada » (2000-2005), durant laquelle vous occupiez déjà la fonction de porte-parole de l’armée israélienne, entre autres durant l’année 2002 qui fût le théâtre de l’opération dite « Rempart », ordonnée par le très modéré Premier ministre israélien Ariel Sharon, avec la réoccupation brutale de l’ensemble des « zones autonomes » palestiniennes de Cisjordanie.

À l’époque, vous vous en étiez par exemple pris à Human Rights Watch et à son rapport établissant qu’Israël avait commis de probables crimes de guerre lors de l’offensive meurtrière contre le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002, affirmant ce qui suit : « Le rapport ignore complètement les raisons profondes de l’opération de l’armée israélienne à Jénine. […] Il ne s’intéresse pas à la complexité de l’infrastructure terroriste dans le camp et au fait qu’elle ait été placée au cœur d’une zone civile d’une grande densité humaine » (3). Toute ressemblance… Quelques semaines plus tôt, alors qu’une manifestation de militants internationaux venus apporter leur solidarité aux Palestiniens avait été violemment réprimée à Béthléem, vous expliquiez ceci : « Nous vérifions les faits, mais nous savons avec certitude qu’il s’agissait d’une provocation de la part de groupes soutenant les terroristes, soutenant les kamikazes qui tuent nos femmes et nos enfants » (4), rien que ça. Décidément très en verve à l’époque, vous aviez aussi vivement contesté les déclarations des autorités religieuses de Béthléem et du Vatican qui affirmaient que l’armée israélienne avait tiré sur l’église de la Nativité alors assiégée : « Je démens officiellement. L’armée israélienne n’a pas tiré sur l’église, ni sur le couvent. […] Nous excluons toute chose qui puisse faire du mal à l’église » (5), bien évidemment.

Nous nous souvenons également d’un épisode particulièrement révélateur, en octobre 2011, avec votre participation à une misérable « contre-émission » (6) réalisée par le site pro-Israël JSS News et relayée, à l’époque, par l’ambassade d’Israël en France, visant à « répondre » à un numéro du magazine « Un œil sur la planète » consacré à la situation en Israël/Palestine et diffusé sur France 2 le 3 octobre. Une « contre-émission » au cours de laquelle vous aviez notamment affirmé ce qui suit, comme le rapportait à l’époque l’observatoire des médias Acrimed : « [Le magazine de France 2] est un programme… un programme palestinien, anti-israélien, qui a été programmé, qui a été organisé, qui montre un seul côté, qui le montre bien d’ailleurs, avec la volonté de vouloir casser, détruire, presque anéantir, l’image de l’État d’Israël, de l’armée israélienne ». Et d’ajouter ensuite : « Tout est mauvais. Rien ne va dans ce reportage ». C’est bien noté, et nous ne pouvons ici que faire nôtre le commentaire d’Acrimed : « Conclusion : un reportage qui "montre bien" la réalité palestinienne est donc un reportage dans lequel "rien ne va". Tout est dit ? » Effectivement.

Une longue expérience donc, cher Olivier Rafowicz, qui explique sans doute l’aplomb avec lequel vous êtes capable, plus de 20 ans plus tard, d’asséner vos « vérités » sur les antennes des médias qui continuent de vous tendre leurs micros, quitte à alimenter votre défense inconditionnelle de l’ensemble des agissements de l’armée israéliennes par la diffusion de grossières fake news. Depuis le 7 octobre 2023, vous avez ainsi cru bon d’affirmer :

- que le Hamas aurait « exhibé des enfants [israéliens] de quatre ou cinq ans dans des cages sur la place de Gaza », sur la foi d’une vidéo qui s’est avérée ne pas montrer, en réalité, des enfants israéliens et, donc, n’avoir à peu près aucun rapport avec votre propos ;

- que la mort de 112 Gazaouis lors d’une distribution d’aide alimentaire en février 2024 aurait résulté d’un « mouvement de foule très important » au cours duquel « les camions qui sont là, avec des conducteurs palestiniens, vont, dans la panique, écraser des Palestiniens », alors que l’ensemble des témoignages indiquent que ce sont des tirs israéliens qui sont à l’origine de ce qui est demeuré dans les mémoires comme le « massacre de la farine » ;

- que parmi les victimes à Gaza, il y aurait « 25 000 morts du côté Hamas [et] peut-être 20 000 civils, ce qui veut dire qu’il y a un terroriste tué pour un civil », soit des statistiques totalement fantaisistes au regard des données du… renseignement israélien, qui établissent le chiffre de « 8900 combattants du Hamas et du Jihad islamique tués entre le 7 octobre 2023 et la fin du mois de mai 2025 sur un total de 53 000 morts recensés », soit au moins 83% de victimes civiles — un chiffre déjà accablant mais pourtant considéré comme sous-évalué par tous les experts ;

- que l’Iran aurait été, en juin, « à la veille d’avoir 15 bombes nucléaires », contredisant ainsi, entre autres, les informations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et du renseignement étatsunien, pourtant peu suspects de sympathies pro-iraniennes ;

- etc.

Une liste de faits d’armes, là encore non exhaustive, qui confirme que votre principale fonction est d’abreuver les médias occidentaux, en premier lieu francophones, d’une propagande pas toujours très subtile, jusqu’à parfois vous contredire vous-même, confirmant la sentence de Corneille selon laquelle « il faut bonne mémoire après qu’on a menti », comme lorsque vous déclarez, le 20 août dernier, « [qu’]Israël et Tsahal n’accepteront jamais le chantage du Hamas et ne permettront pas qu’il continue d’exister dans la bande de Gaza » à peine plus de trois mois après avoir écrit, sur votre compte X, le 16 mai, que « si le Hamas libère tous les otages en vie et morts et si le Hamas dépose les armes , la guerre s’arrête à Gaza », il faudra nous expliquer comment vous comptez à la fois « arrêter la guerre » et « ne pas permettre que le Hamas continue d’exister » — et par la même occasion comment vous pensez qu’il est possible d’exiger d’un mouvement qu’il dépose les armes tout en expliquant que votre but ultime est de le détruire.

Notons que la brutalité avec laquelle vous vous exprimez se confond parfois avec une déconcertante sincérité, à l’image de ce que vous déclariez le 10 octobre 2023 sur BFM-TV au sujet des otages retenus à Gaza :

- Journaliste : « [La question des otages] complique-t-elle la riposte ? »

- Olivier Rafowicz : « Non. L’opération israélienne se déroule, va se dérouler, elle continue à se dérouler comme s’il n’y avait pas d’otages. Bien évidemment nous prenons également les otages… en considération, nous voulons qu’ils reviennent à la maison sains et saufs, mais ceci… »

- J : « Allez-vous tenter d’aller les récupérer ? »

- OR : « … mais ceci, excusez-moi, ne doit pas être un frein à l’opération contre le Hamas dans la bande de Gaza. »

- J : « Allez-vous tenter de récupérer ces otages ? »

- OR : « Je préfère ne pas répondre à cette question. »

- J : « Est-ce que la population israélienne doit se préparer au sacrifice de ces otages ? »

- OR : « Je préfère ne pas répondre à cette question non plus. »

22 mois plus tard, on comprend d’autant mieux ce que vous vouliez dire : contrairement à ce que les soutiens d’Israël n’ont cessé de ressasser depuis le 7 octobre 2023, les otages n’ont jamais été une priorité pour vous et votre armée quand bien même vous n’auriez cessé de les utiliser comme un prétexte pour justifier les pires atrocités. Ce que les familles des otages ont, elles, bien compris.

Et gare à celles et ceux qui osent questionner vos propos. À défaut de pouvoir les éliminer physiquement comme l’armée israélienne le fait avec les journalistes palestiniens à Gaza, vous avez une tendance marquée à vous comporter de façon particulièrement agressive avec les — rares — journalistes qui ne se contentent pas de vous écouter en vous donnant du « mon colonel » et en hochant bêtement la tête. On se souvient ainsi de votre réaction brutale face au journaliste de France 5 Mohammed Kaci qui, alors que vous justifiiez, en novembre 2023, les agissements criminels de l’armée israélienne à Gaza par le fait que le Hamas ne respectait pas le droit international, vous avait posé la question « Donc vous vous comportez comme le Hamas, c’est ce que vous nous dites ? », franchement vous ne l’aviez pourtant pas volé. Un Mohammed Kaci qui, suite à cet « incident », sera victime d’une campagne de harcèlement du lobby pro-Israël et courageusement lâché par sa direction tout en étant soutenu par ses collègues, et à propos duquel l’Arcom, qui n’est pourtant pas franchement une officine islamo-gauchiste, affirmera quelques mois plus tard qu’il n’avait commis aucune faute et s’était contenté de faire son métier, mais c’était déjà trop pour vous.

Un épisode loin d’être isolé puisque nous n’avons pas oublié non plus la façon dont vous aviez (mal)traité le journaliste de France Info Julien Pain au cours d’une interview début décembre 2023, au cours de laquelle ce malotru avait osé ne pas se limiter à vous écouter benoîtement alors que vous étiez en train de justifier la prise de contrôle de l’hôpital al-Shifa par l’armée israélienne au motif que ce dernier aurait été un « centre de commandement du Hamas » sans toutefois apporter aucune preuve de vos affirmations. Il vous avait alors posé la question suivante : « On a bien vu ces tunnels, qui passent effectivement sous l’hôpital, juste à côté, […] mais les journalistes qui sont allés dedans disent qu’on ne voyait pas le tunnel ressortir dans l’hôpital et, deuxième chose, que ça ne ressemblait pas à un centre de commandement. Est-ce que vous êtes toujours persuadés que c’était un centre de commandement ces tunnels ? » Une question pas très incisive mais face à laquelle, après avoir répété vos éléments de communication sans apporter davantage de preuves, vous aviez toutefois décider de contre-attaquer :

- Olivier Rafowicz : « Votre question nous dérange. »

- Julien Pain : « Pourquoi ? »

- OR : « Parce que c’est inadmissible qu’une démocratie comme la vôtre pose une [telle] question à une autre démocratie. […] Cette remise en doute et cette remise en question est extrêmement étrange, voire nauséabonde. »

- JP : « […] On a besoin de savoir si effectivement le Hamas se servait de l’hôpital comme d’un bouclier humain, donc c’est un travail normal de journaliste, je pense que vous êtes d’accord avec moi ? »

- OR : « Non c’est un travail de quelqu’un qui essaie de détruire la parole de l’autre. Ce n’est pas un travail de journaliste. »

En d’autres termes : les journalistes ne sont pas là pour poser des questions mais pour écouter vos monologues, et quiconque met en doute votre parole est immédiatement catalogué comme un ennemi. Une hostilité à toute forme de contradiction qui est à la hauteur des horreurs que vous essayez de dissimuler et qui en dit long sur le rapport que vous entretenez avec les médias et celles et ceux qui y travaillent, considérés comme des adversaires dès lors qu’ils ne se contentent pas de reprendre sans broncher vos communiqués et vos déclarations. Ce qui n’a rien d’étonnant de la part du porte-parole d’une armée qui a mis en place une unité spéciale chargée de fabriquer des « dossiers » établissant de supposés liens entre les journalistes palestiniens et le Hamas, ainsi que l’a révélé une récente enquête du média israélien indépendant +972 reprise par la cellule investigation de Radio France. Meron Rapoport, rédacteur en chef de +972, explique ainsi que « la fonction de cette "cellule de légitimation" est de chercher des informations pour criminaliser les journalistes locaux à Gaza et délégitimer leur travail en les qualifiant de terroristes [et que] les porte-parole de l’armée présentent des informations et des documents prétendument saisis au Hamas où figurent parfois l’identité de certains journalistes » afin de justifier qu’ils et elles soient pris pour cibles. « La majorité des médias israéliens reprennent ces accusations sans trop questionner leur véracité, ajoute Meron Rapoport. Mais les informations traitées par cette cellule sont parfois incohérentes, évolutives et douteuses et, dans tous les cas, elles sont invérifiables car nous n’y avons pas accès », c’est vrai que c’est plus facile comme ça, on comprend mieux comment vous faites pour « avoir les noms ».

Cher Olivier Rafowicz, au vu d’un tel CV, on pourrait s’étonner que vous continuiez d’être invité dans les médias français, mais ces derniers semblent en redemander, visiblement fascinés par vos prises de parole martiales et particulièrement disposés à faire entendre le point de vue israélien, forcément légitime, sans chercher à le contredire. Vous pouvez d’ailleurs compter, dans le paysage médiatique, sur de fidèles relais qui n’hésitent pas à reprendre votre propagande, entre autres contre les journalistes palestiniens, à l’instar des petits télégraphistes Géraldine Woessner (« Il n’y a pas de journaliste palestinien. Vous collez un concept occidental sur une entité qui n’existe pas ») et Raphaël Enthoven (« Il n’y a AUCUN journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse »). Il se murmure en outre que vous bénéficieriez du carnet d’adresse de votre épouse, insérée dans le petit monde des grands médias, ainsi que le rapportait Alain Gresh dans un article fort documenté du Monde diplomatique : « [Olivier Rafowicz] profite du réseau de sa femme, Mme Roxane Rouas-Rafowicz, membre du comité exécutif du Mouvement des entreprises de France (Medef) et dirigeante de StudioFact Media Group, qui travaille avec France Télévisions, La Chaîne parlementaire (LCP), la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF). […] En 2022, Le Parisien est entré à hauteur de 30% au capital de StudioFact », le monde est petit.

De toute évidence particulièrement préoccupé par le traitement médiatique de la politique coloniale de l’État d’Israël, vous aviez même été à l’origine du lancement, en 2007, d’une Web TV à vocation internationale, émettant en anglais, français, espagnol et arabe depuis Jérusalem, Infolive.tv, expliquant à l’époque qu’il s’agissait de « rééquilibrer une couverture très déséquilibrée d’Israël [et] de produire [vos] propres vidéos et ensuite de les diffuser par Web TV dans le monde entier afin de présenter une autre vision d’Israël » (7), à défaut de réussir à intimider voire éliminer l’ensemble des journalistes autant avoir ses propres médias. Questionné sur les orientations politiques de la chaîne, vous expliquiez alors que votre Web TV était « pro-Israël » mais qu’elle ne se positionnait pas sur le champ politique, c’est astucieux, en déclarant notamment ce qui suit : « Nous sommes Israéliens. Nous essayons d’être mainstream, ni de droite ni de gauche, sans lien avec aucun parti politique en Israël. Nous essayons de relayer les informations telles qu’elles sont généralement perçues en Israël », tout simplement.

Et c’est sans doute également parce que vous essayez de n’être « ni de droite ni de gauche » que vous vous êtes présenté à plusieurs reprises aux élections législatives israéliennes sur la liste d’Israël Beytenou, le mouvement dirigé par le très tempéré Avigdor Lieberman, un colon moldave de Cisjordanie ayant claqué la porte du Likoud de Benjamin Netanyahou qu’il trouvait trop modéré, qui a été plusieurs fois ministre, notamment des Affaires étrangères, et qui est connu pour avoir déclaré qu’il fallait « décapiter à la hache » les Palestiniens d’Israël déloyaux, « noyer les prisonniers palestiniens dans la mer Morte » ou encore « combattre le Hamas comme les États-Unis ont combattu les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale », soulignant que « la conquête du Japon n’avait alors pas été nécessaire », ce que tout le monde avait à juste titre compris comme un appel à utiliser l’arme nucléaire contre Gaza. Candidat pour l’extrême droite, vous êtes allé jusqu’à représenter Avigdor Lieberman et sa liste dans plusieurs débats télévisés, par exemple en 2019 et en 2020 sur i24News, expliquant entre autres « [qu’]avant tout deal, il faut éliminer nos ennemis [et] annexer des villes et des villages de Samarie [Cisjordanie] sans annexer les 2,8 millions de Palestiniens », quel talent.

Au total, vous avez donc plus d’une corde à votre arc ou, pour être plus exact, plus d’un canon à votre tank, et vous savez même parfois brosser certains journalistes dans le sens du poil, comme lorsque vous aviez affirmé au très talentueux Benjamin Duhamel que BFM-TV faisait un « travail excellent », on a les hommages que l’on mérite. Mais il semble toutefois, à mesure que les crimes commis par l’armée israélienne à Gaza sont de plus en plus connus, documentés et ouvertement critiqués, que le vent commence un peu à tourner, à l’image de ce communiqué de la société des journalistes (SDJ) de BFM-TV au lendemain de votre intervention du 25 juillet sur la chaîne, au cours de laquelle vous aviez nié la famine à Gaza et proféré des menaces contre les journalistes palestiniens. Un communiqué dans lequel la SDJ dénonçait vos propos et affirmait entre autres « [qu’ils contredisaient] tous les éléments factuels et documentés par les ONG et nos confrères journalistes sur place, qui sont eux-mêmes en proie à cette famine ». Un communiqué faisant lui-même écho à un précédent texte, publié par la SDJ de l’AFP quelques jours plus tôt et alertant sur la situation de famine à Gaza et sur le fait que les journalistes travaillant avec l’agence étaient en danger de mort. Des prises de position que d’aucuns pourront juger tardives mais qui témoignent à la fois de l’amplification des horreurs de la guerre génocidaire à Gaza, du développement d’une conscience, très majoritaire, que rien ne saurait les légitimer, et d’une docilité de moins en moins prononcée à l’égard de ceux qui, comme vous, s’évertuent à justifier l’injustifiable.

Est-ce à dire qu’à l’avenir, cher Olivier Rafowicz, vous serez moins invité par les chaînes d’information ou, au minimum, un peu plus bousculé, lorsque vous proférerez vos mensonges et vos outrances, par les journalistes qui vous interviewent ? Nous osons l’espérer, même si nous savons que les chefferies éditoriales demeurent particulièrement bienveillantes à l’égard d’Israël et même si, en réalité, il nous semblerait pour le moins légitime que les médias arrêtent tout simplement de vous tendre leurs micros tant que vous ciblerez délibérément les journalistes palestiniens et que vous n’autoriserez pas leurs confrères internationaux à entrer à Gaza. Une chose est toutefois certaine : quoi qu’il advienne, vous demeurerez comme l’un des visages les plus abjects des crimes monstrueux d’Israël, et nous espérons bien que vous aurez un jour à rendre des comptes pour votre implication directe dans la propagande d’un État et d’une armée génocidaires. Et sachez qu’il n’y aura ni oubli ni pardon : nous aussi on a les noms.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Les citations que nous reprenons ici sont extraites des posts X des chaînes d’information. Elles ne sont pas toujours une transcription littérale de vos propos, mais elles y sont fidèles : on a — malheureusement — tout vérifié.

(2) Même remarque.

(3) « L’armée israélienne conteste le rapport de Human Rights Watch sur Jénine », dépêche AFP, 3 mai 2002, consultée via le site de la BNF.

(4) « Environ 500 étrangers en "bouclier humain" dans les territoires palestiniens », Michel Sailhan (AFP), 1er avril 2002, consulté via le site de la BNF.

(5) « L’armée israélienne dément avoir tiré sur la basilique de la Nativité », dépêche AFP, 11 avril 2002, consultée via le site de la BNF.

(6) Ladite « contre-émission », subtilement titrée « Deux yeux sur la planète », semble désormais introuvable en ligne. Quelle tristesse.

(7) Infolive.tv a depuis cessé d’émettre, il semblerait qu’i24News fasse désormais suffisamment bien le job.

Cher Olivier Rafowicz - Boxing Day #45

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