Chère Agnès Verdier-Molinié,

Quelle semaine !

Le 27 mai, vous êtes intervenue successivement sur Europe 1, BFM-TV et LCI, quel talent, pour nous éclairer de vos lumières à propos, entre autres, de la grève des chauffeurs de taxi (c’est mal), de la « TVA sociale » (c’est bien) et de la dette publique (c’est grave), pour le commun des mortels une telle journée médiatique serait un marathon mais pour vous c’est ce que l’on appelle un mardi. Lorsque l’on sait que, la veille, vous étiez l’invitée de la « la Grande interview » de boursorama.com et que, le lendemain, on a pu vous entendre sur Europe 1 le matin et vous voir sur CNews le soir lors de la remarquable émission de la talentueuse Christine Kelly, on en viendrait presque à se demander où vous trouvez le temps de travailler à force de courir partout, mais ce serait oublier qu’occuper l’espace médiatique pour y ressasser vos lubies ultra-libérales constitue précisément ce qui fait pour vous office de « travail ».

Vous êtes en effet devenue ce qu’il est convenu d’appeler une « bonne cliente » des médias, un statut qui ne date pas d’hier puisque l’on se souvient que vous aviez eu les honneurs d’un portrait dans Libération dès septembre 2013, félicitations, et d’un article sur le site d’Acrimed en mars 2015, dans lequel vous étiez — déjà — qualifiée « [d’]inépuisable porte-parole multimédia » de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) dont vous êtes directrice depuis 2009. L’iFRAP se vante d’ailleurs, sur son site internet, de cette omniprésence médiatique, en recensant scrupuleusement vos interventions dans les médias et leurs reprises, ainsi que les diverses références aux écrits de la fondation, pour en arriver à un total d’environ 800 « passages médias » chaque année depuis 2019, soit plus de deux par jour en moyenne, bravo à vous et longue vie au pluralisme.

Ces chiffres sont certes sujets à caution dans la mesure où sont comptabilisées comme des « passages médias » vos interviews, ce qui semble logique, mais aussi la moindre allusion à un article, à une « note » ou à une « étude » publiée par votre fondation ou la moindre reprise de propos que vous auriez tenus lors d’une intervention sur une station de radio ou une chaîne de télévision. Soit une méthode éprouvée pour gonfler les statistiques et exagérer votre audience et votre influence, mais force est toutefois de reconnaître que, malgré cette peu discrète manipulation de chiffres dont l’iFRAP est spécialiste, on y reviendra, le moins que l’on puisse dire est que, depuis près d’une quinzaine d’années maintenant, ce n’est pas la discrétion qui vous caractérise et vous ne faites pas semblant d’occuper le terrain.

À un point tel que vous avez été retenue, le 13 mai, pour participer au grand raout organisé sur TF1 autour d’Emmanuel Macron, avec lequel vous avez pu échanger pendant plus de 30 minutes, autrement dit une formidable opportunité pour vous de professer, à une heure de grande écoute, un catéchisme ultra-libéral si caricatural qu’il aurait presque pu faire passer le Président de la république pour un dangereux collectiviste. « Explosion de la dépense publique », « dette insoutenable », « prélèvements obligatoires les plus élevés de l’UE », « modèle social trop coûteux », « folie normative », « entreprises surtaxées », « boulet fiscal » : un véritable récital condensant vos obsessions, face auxquelles Emmanuel Macron a assuré qu’il avait, c’est promis, mené une politique de droite, oui mais pas assez (vous), oui mais quand même (lui), oui mais on peut faire plus (vous), oui c’est vrai (lui), alors faites-le (vous), c’était vraiment très intéressant.

Chère Agnès Verdier-Molinié, vous avez été ce soir-là présentée à l’antenne comme « directrice de la fondation iFRAP », ce qui est vrai, et comme « spécialiste des finances publiques », ce qui l’est moins dans la mesure où vous n’avez jamais obtenu le moindre diplôme en ce domaine ni travaillé dans ce secteur ni publié le moindre article scientifique sur la question — il faut dire que vous n’avez jamais publié d’article scientifique sur une quelconque question. Mais qu’importe, vous êtes « directrice » d’une fondation au nom ronflant, ça fait prestigieux, vous citez tout plein de chiffres, ça fait sérieux, et vous bénéficiez en outre de cette remarquable logique inhérente au capital médiatique qui, à l’instar du capital économique, obéit à la règle d’or selon laquelle plus on en a, plus on en gagne, et plus on en gagne, plus on en a. Ainsi va la vie dans le merveilleux petit monde des grands médias, au sein duquel une poignée de « bons clients » circule de plateau en plateau, chaque invitation devenant en elle-même un prétexte à la suivante, avec au total des « spécialistes » davantage connus pour leur notoriété que pour une quelconque expertise.

Ce que confirment d’ailleurs les statuts de la « fondation » dont vous êtes la « directrice », qui fixent pour mission à cette dernière, créée en 1985, « d’effectuer des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des politiques publiques, notamment celles visant la recherche du plein emploi et le développement économique, de faire connaître le fruit de ces études à l’opinion publique, de proposer des mesures d’amélioration et de mener toutes les actions en vue de la mise en œuvre par le Gouvernement et le Parlement des mesures proposées ». En d’autres termes, un drôle de mélange entre prétention scientifique et activité de lobbyisme, qui font au total de l’iFRAP un think tank dont l’objectif n’est pas tant de faire progresser la connaissance que de diffuser ses « propositions » dans le but revendiqué de les voir reprises et appliquées par les pouvoirs publics. Comme l’écrivait le chercheur Franck Ramus dans une étude de 2011 dont le contenu révélait notamment que les auteurs des « travaux » de l’iFRAP, qui ne sont nullement des universitaires, préfèrent publier leurs « recherches » dans le Figaro ou dans les Échos que dans des revues scientifiques d’économie pour lesquelles « les articles doivent être expertisés par d’autres chercheurs en économie parmi les plus compétents sur le sujet » : « Il n’est pas honteux d’être lobbyiste. En revanche il est plus discutable de le dissimuler derrière une étiquette fallacieuse de "chercheur", et de faire passer ses opinions pour des connaissances scientifiquement établies. »

Un examen attentif des derniers articles publiés sur le site de l’iFRAP confirme que les constats dressés par Franck Ramus (« J’hésiterais à dire que l’IFRAP est un institut de recherche et que ses membres sont des chercheurs au sens usuel du terme ») ou par le journaliste Étienne Girard en 2018 (« L’iFRAP repose en réalité sur un nombre réduit de contributeurs, qui n’ont jamais publié d’article scientifique ») sont toujours valables en 2025, et ce contrairement aux ambitions que vous affichez : « Les travaux de la Fondation iFRAP sont effectués par une quinzaine de chercheurs permanents, pour moitié bénévoles. Cette équipe qui possède des compétences variées et pointues en économie, finance, droit, fiscalité, statistiques, est soutenue par un réseau de près de 150 chercheurs, contributeurs et experts qui participent à la conception de nos études ». Ah bon ?

Sur les 108 articles mis en ligne depuis le 1er janvier 2025 (1), 89 (82,5%) se répartissent entre seulement quatre auteurs et autrices, dont 45 (41,7%) ont été signés par une seule et même personne. Parmi les 19 articles restant, 13 se répartissent entre six auteurs (qui ont rédigé de un à trois articles) et six n’ont pas de signature nominative. En d’autres termes : la quasi-totalité des productions de l’iFRAP ne repose pas sur « une quinzaine de chercheurs permanents, pour moitié bénévoles » mais sur quatre personnes parmi lesquelles on imagine que se retrouve une partie des cinq équivalents temps plein déclarés par la fondation, et qui sont présentées comme suit :

- Agnès Verdier-Molinié (13 articles), « directeur [sic] de la Fondation iFRAP depuis décembre 2009, diplômée d'histoire économique contemporaine » ;

- Sandrine Gorreri (17 articles), « directrice de la rédaction du mensuel de la Fondation IFRAP, Société civile, a débuté à la Fondation en 1998 après des études de gestion à l’université Paris Dauphine » ;

- Samuel-Frédéric Servière (45 articles), « diplômé en histoire, en droit des affaires mention fiscalité et de l’IEP de Paris, a occupé les fonctions d'assistant parlementaire à l'Assemblée nationale en 2007 avant de rejoindre l'équipe de l'iFRAP en 2008 » ;

- Ambroise Genet (14 articles), « étudiant en L3 en en double cursus sciences politiques et humanités passionné par l'économie politique ».

Autrement dit, aucun d’entre vous ne détient un quelconque diplôme en économie ou en finances publiques ni n’a, après vérification, publié d’article dans une revue scientifique ou d’étude citée dans un travail de recherche. Et du côté des six auteurs qui se partagent les 13 articles restant, soit 12% des publications de l’iFRAP en 2025, on trouve :

- un « ancien directeur général de Lafarge » (Bernard Kasriel, trois articles) ;

- un « chef de projet marketing transverse chez Orange applications for business » (Francis Péneau, un article) ;

- un ex-« consultant chez KPMG Advisory - Digital Compliance [intervenant] sur des missions de conformité et de sécurisation digitale » qui se présente désormais comme « économiste à la fondation IFRAP » (Louis de Chabot-Tramecourt, trois articles)

- un chercheur en « simulation aérodynamique » (Jaques Peter, un article) ;

- et, tout de même, deux titulaires de doctorat en économie (François Saint-Cast et Gilles Koleda), dont on ne trouve certes aucune trace dans des revues ou ouvrages scientifiques mais qui ont rédigé, à eux deux, cinq articles sur le site de la fondation, soit 4,6% des publications.

Voilà qui est fort éloigné de vos prétentions, et voilà qui se ressent dans vos productions qui, tout en étant présentées comme des « analyses », se résument, pour l’essentiel, à des compilations de chiffres publiés par diverses structures, publiques ou privées, agrémentés de commentaires angoissés et de préconisations ultra-libérales, qu’il s’agisse de défendre la thèse selon laquelle « notre système des retraites nuit à l’emploi et à la compétitivité », de défendre une augmentation du temps de travail pour « réaliser un gain significatif et bienvenu en termes de valeur ajoutée », de voler au secours des plus riches face aux velléités de taxer les héritages, de prôner « un effort de 7 à 8 milliards d'euros d'économies annuelles sur les dépenses [des collectivités] locales », de pointer « le coût des engagements financiers de soutien » aux énergies renouvelables, d’expliquer que la réquisition des logements vacants n’est pas une solution à la crise du logement, de dénoncer « la problématique persistante [de] l’absentéisme dans les hôpitaux » (2), ou de déplorer le manque de résultats dans la lutte contre la « fraude » dans la branche famille de la Sécurité sociale.

Rien de bien nouveau sous le soleil en somme, puisque tout un chacun pourra reconnaître ici la plupart des antiennes du néolibéralisme le plus débridé, autrement dit que les « propositions » de l’iFRAP que vous relayez lors de vos interventions dans les médias n’ont rien à voir avec une production intellectuelle appuyée sur des recherches originales mais tout à voir avec des partis pris idéologiques déjà fort éculés, ce qui n’est évidemment pas grave en soi mais la moindre des choses serait de l’assumer. Or ce n’est nullement votre cas, comme lorsque vous êtes capable de déclarer sans ciller que « dire qu’il faut baisser la dépense publique et les impôts, ce n’est pas être libéral, c’est être objectif », vu comme ça c’est plus simple, en d’autres termes vous revendiquez une vraie-fausse neutralité alors que vous savez pertinemment que vous êtes une lobbyiste ultra-libérale tentant d’asseoir sa légitimité sur les « travaux » d’une fondation dont on a vu que le vernis pseudo-scientifique se craquelle sans qu’il soit besoin de beaucoup gratter.

Chère Agnès Verdier-Molinié, ce n’est pas parce que vous courez les plateaux que vous pouvez vous revendiquer d’une quelconque expertise, sinon en bavardage médiatique, et nombreuses et nombreux ont été celles et ceux qui ont par ailleurs pointé le manque de rigueur des travaux de l’iFRAP, comme lors de la publication en 2013 d’une étude sobrement titrée « Éducation : pourquoi la France surpaye et comment en sortir », il est vrai que chacun sait que trop d’argent est investi dans l’éducation et que les enseignants et enseignantes sont trop payés, dont il s’est avéré qu’elle accumulait les erreurs, manipulations et contre-vérités, à grands renforts de chiffres fantaisistes destinés à servir votre propos. De manière plus insidieuse, vous avez en outre une irrépressible tendance à vous réfugier derrière un écran de fumée de données chiffrées qui semblent clore toute discussion mais dont il apparaît que vous les sélectionnez et les mélangez soigneusement, comme lorsque vous dénoncez comme un « scandale français » le fait que « les dépenses publiques explosent mais, année après année, les services publics se dégradent », confondant allègrement — et volontairement — le budget des services publics (qui reste stable) et le budget de la protection sociale (qui augmente) pour donner l’illusion d’un gaspillage qui n’existe en réalité que dans votre esprit façonné par l’ultra-libéralisme.

Cette tendance à la manipulation des chiffres se manifeste en outre par la façon dont vous choisissez vos « cibles » lorsqu’il s’agit de vous en prendre aux responsables — selon vous — de l’augmentation de la dette publique, avec en premier lieu une hémiplégie toute néolibérale reposant sur la postulat que la hausse du déficit aurait pour seule cause un accroissement des dépenses et nullement une diminution des recettes due notamment à la multiplication des cadeaux fiscaux aux grandes fortunes et aux grandes entreprises. Un éléphant dans la pièce lorsque l’on sait que la fort peu bolchévique Cour des comptes expliquait par exemple dans un rapport publié l’an dernier que « la période 2018-2023 a été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont l’impact est estimé à 62 milliards d’euros en 2023 », soit un manque à gagner de plus de 60 milliards d’euros par an que vous n’évoquez jamais alors que vous vous échinez dans le même temps à trouver les moyens par lesquels l’État pourrait faire 30 milliards d’économies (3).

Et c’est ainsi qu’alors que l’on sait, notamment grâce aux travaux de l’économiste Gabriel Zucman, que si les 1800 plus grandes fortunes françaises, qui ont un taux global de prélèvements obligatoires inférieur de moitié à celui du reste de la population, étaient assujettis à un impôt résorbant cette inégalité de traitement, ce sont 20 milliards d’euros qui rentreraient chaque année dans les caisses de l’État, vous faites la chasse aux dépenses « inutiles », quitte à faire les propositions les plus mesquines et destinées à faire les poches des plus pauvres, entre autres :

- la suspension du Pass Colo, une aide de 200 à 350 euros destinée à faciliter les départs en colonies de vacances pour les enfants des familles les plus démunies, pour une « économie » de 270 millions d’euros ;

- la suspension voire la suppression du Pass Sport, une aide de 50 euros versée, sur critères sociaux, lors de l’acquisition, par un ou une jeune, d'une licence sportive, pour une « économie » de 85 millions d’euros (4) ;

- le « recentrage » du Pass Culture, c’est-à-dire sa diminution de moitié et son application exclusive aux « billetteries, disquaires et librairies, en excluant le secteur numérique », pour une « économie » de 140 millions d’euros ;

- une « réduction de 10% des aides [de l’État] aux associations », pour une « économie » de 851 millions d’euros ;

- une « dégressivité des prestations de chômage », avec une baisse des indemnisations de 5% au neuvième mois et de 3% au quinzième mois, pour une « économie » de 670 millions d’euros ;

- etc.

Votre sens des priorités se manifeste également par votre obsession de la « fraude sociale », qui revient en boucle dans vos interventions pour les médias audiovisuels et dans vos interviews pour la presse écrite, contrairement à la fraude fiscale que vous n’évoquez que très rarement si ce n’est pour expliquer qu’elle est « traquée depuis des années » alors que la « fraude sociale » ne le serait « quasiment pas », c’est bien noté. Et dans ce domaine comme dans bien d’autres vous adorez tricher avec les chiffres, tout d’abord en répétant régulièrement que la « fraude sociale » serait estimée à « 20 milliards d’euros par an » alors que le dernier rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), lui aussi peu suspect de gauchisme, l’évalue à environ 13 milliards d’euros, et en prétendant que le montant de la fraude fiscale serait quant à lui de l’ordre de « 30 à 40 milliards d’euros par an » alors que, comme le rappelle par exemple le Monde, les estimations tournent plutôt autour de 60 à 80 milliards d’euros (5). La manœuvre est un peu grossière puisqu’elle consiste, sans citer aucune source, à gonfler le montant de la « fraude sociale » (augmentée de 50%) et à dégonfler celui de la fraude fiscale (réduite de 50%) pour créer une fausse proximité entre les deux chiffres alors que leur rapport est plutôt de 1 à 5, voire de 1 à 6, bien tenté mais ça s’est vu.

Vous entretenez de plus, en permanence, la confusion entre « fraude sociale » en général et fraudes aux prestations sociales en particulier alors que ces dernières représentent une part minoritaire (un tiers) de ce que l’on regroupe sous le label « fraude sociale », qui concerne en premier lieu le non-paiement des cotisations à l’Urssaf par les entreprises et les travailleurs indépendants, autrement dit le travail dissimulé. Ce qui ne vous empêche pas de prétendre « [qu’]en tête de la fraude estimée, on trouve le RSA », alors que ladite fraude représente 1,54 milliard d’euros, soit 12% du total, contre 6,9 milliards d’euros (53%) pour le travail dissimulé, en d’autres termes vous racontez absolument n’importe quoi. Mais vous êtes comme ça, vous ne pouvez vous empêcher de stigmatiser les pauvres, ces « assistés », plutôt que de vous en prendre aux entrepreneurs, ces « créateurs de richesses », quitte à mentir effrontément. Notons d’ailleurs au passage qu’une autre irrégularité administrative n’est jamais mentionnée dans vos interventions, à savoir que, faute d’information et en raison de la complexité des démarches, le non-recours au RSA par des personnes pourtant éligibles est évalué à environ trois milliards d’euros, soit le double de la fraude, mais ce n’est visiblement pas votre problème, on ne va pas non plus aider les gens à savoir qu’ils ont des droits.

À l’iFRAP, par contre, on connait bien ses droits, et c’est ainsi que la fondation a pu obtenir en 2009, par décret du Premier ministre François Fillon, merci à lui, le fort convoité statut d’association d'utilité publique, qui vous permet de vous financer grâce à des dons ouvrant droit à déduction fiscale, autrement dit vos donateurs peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt équivalente à 75% de la somme versée (6), autrement dit (bis) votre structure, qui n’a de cesse de traquer le gaspillage d’argent public, se finance… sur fonds publics. Et c’est ainsi qu’en 2023 les dons à l’iFRAP ont représenté 1 240 971 euros, soit environ 77% des recettes de la fondation, sans que l’on sache toutefois qui vous a donné quoi puisque vous ne publiez pas la liste de vos mécènes (7) : on a enfin trouvé un domaine dans lequel vous ne vous insurgez pas contre l’absence de transparence dans les circuits de l’argent public, puisque c’est bien de cela dont il s’agit dans la mesure où c’est l’État qui rembourse de l’argent à vos donateurs.

Grâce à ces derniers et à l’argent public qui leur est reversé, vous pouvez ainsi rémunérer confortablement les salariés de l’iFRAP, dont vous faites partie, tant mieux pour vous et pour eux, avec une masse salariale annuelle de 486 532 euros pour cinq équivalents temps plein, soit en moyenne un peu plus de 8000 euros bruts par mois, soit environ 6200 euros nets, chèques déjeuners compris. Ce qui n’a pas empêché votre fondation de publier l’an dernier un article alarmiste pour dénoncer la proposition du Nouveau Front populaire d’augmenter le SMIC à 1600 euros nets, soit à peine plus du quart du salaire moyen chez vous, expliquant qu’en cas d’application d’une telle mesure ill y aurait « 240 000 emplois détruits et entre 9500 et 70 000 entreprises en faillite sur un an », il est vrai qu’il est toujours plus facile de trouver que le SMIC est trop élevé lorsque l’on gagne quatre fois plus. Côté augmentations, l’iFRAP, qui préconise par exemple le « gel du point d’indice » des fonctionnaires, ne met d’ailleurs pas davantage en pratique ce qu’elle recommande avec, à effectif constant, un accroissement de 5,8% de la masse salariale entre 2022 et 2023, qui faisait suite à des hausses de 7,5% entre 2021 et 2022 et de 5,6% entre 2020 et 2021 : les salaires chez vous semblent ainsi progresser au total deux fois plus vite que la moyenne (8), comme quoi vous avez conscience que les augmentations c’est pas si mal, n’hésitez donc pas à arrêter d’asséner le contraire ça en devient gênant (9).

Nous ne pouvons conclure cette missive sans relever que vos lubies ultra-libérales se sont de mieux en mieux adaptées, ces dernières années, au discours xénophobe et raciste ambiant, et que vous n’hésitez pas à venir prodiguer vos bons conseils dans les médias d’extrême droite, qu’il s’agisse de produire régulièrement votre « édito éco » à l’antenne d’Europe 1, de faire la « Une » de Valeurs actuelles ou même d’accorder des interviews au très recommandable site Boulevard Voltaire (10). Vous multipliez en outre les passages sur CNews, avec des sujets visiblement spécialement calibrés pour la chaîne, comme lorsque vous avez, le 22 mai, choisi de vous attaquer au dossier des « conditions de résidence pour toucher les aides sociales en France » avec une intervention qui constitue un exemple quasi-cristallin des méthodes manipulatoires (voir encadré ci-dessous) au moyen desquelles vous parvenez à jeter l’opprobre sur telle ou telle catégorie de la population, en l’occurrence les étrangers percevant des prestations sociales, félicitations à vous, on imagine que le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré a adoré.

Nulle surprise dès lors, chère Agnès Verdier-Molinié, à ce que l’iFRAP se soit retrouvée l’an dernier en bonne place dans le rapport de l’Observatoire des multinationales consacré au réseau Atlas, cette nébuleuse internationale de think tanks dont l’influence en France est de plus en plus marquée et dont l’objectif est de faire triompher et appliquer les idées libertariennes et ultra-réactionnaires. L’histoire nous a en effet appris que, dans les moments de crise, les fervents partisans du capitalisme le plus débridé n’hésitent guère à s’allier à l’extrême droite la plus brutale, avec l’objectif commun de consolider, si nécessaire par la force, un système déstabilisé, voire d’approfondir les logiques d’exploitation. Vous n’êtes donc au total pas seulement une experte en diffusion du catéchisme néolibéral dans les médias audiovisuels, dans la presse écrite et même dans des commissions d’enquête parlementaires, au nom d’une « fondation » aux prétentions scientifiques qui n’est rien d’autre qu’un lobby pro-patronal aux méthodes douteuses ; vous êtes aussi l’un des visages les plus médiatisés de cet ultra-libéralisme autoritaire qui n’hésitera pas, et n’hésite déjà pas, à se lier avec la droite extrême et les néofascistes, quitte à jouer un rôle actif dans l’avènement du pire.

Cordialement,

Jules Blaster

Chère Agnès Verdier-Molinié - Boxing Day #35

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