Dans ce document inédit et roboratif qui se lit comme un polar un peu abrupt mais toujours passionnant, les magistrats reviennent à la genèse de l’affaire et à l’instruction du juge Renaud Van Ruymbeke qui entend dans le cadre de l’attentat de Karachi un témoin alors inconnu du grand public : Ziad Takieddine (décédé à Beyrouth le 23 septembre dernier).

Van Ruymbeke transmet au procureur de la République de Paris, le 19 décembre 2012, les accusations de l’intermédiaire franco-libanais qui affirme avoir des preuves que trois sociétés françaises auraient bénéficié en Libye de contrats pour des prestations fictives. L’une d’elle est dirigée par le fils de Claude Guéant : le fil pouvait être tiré et l’information arriver aux oreilles des journalistes de Mediapart.

Takieddine expliquait qu’il pouvait fournir des éléments sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007 « au-delà de 50 millions d’euros ». « La période importante s'écoule en décembre 2006 et janvier 2007. Durant cette période, Béchir Saleh (alors directeur de cabinet de Kadhafi) est venu à plusieurs reprises voir M. Guéant au ministère de l'Intérieur quand il était directeur de cabinet du inistre. Lors de ces rencontres, M. Guéant donnait à M. Saleh les indications bancaires nécessaires aux virements. Quand il rentrait, M. Saleh faisait des comptes rendus écrits de ses visites en France destinés à M. Khadafi. Mamoudhi Bagdadi, le dernier premier ministre de M. Khadafi a eu ces documents en sa possession. Il est prêt à vous les fournir. »

Ainsi démarre l’affaire qui va aboutir à la condamnation à cinq ans de prison ferme de Nicolas Sarkozy. Les magistrats font rouler leur raisonnement sans pause ni digressions.

Nous en sélectionnons ici quelques extraits et passages intéressants, mais la lecture de l’ensemble du document est nécessaire pour comprendre tout leur travail, et la réflexion juridique qui justifie les condamnations.

La section 3 du jugement, sobrement intitulée « sur la culpabilité », déroule avec prudence, nuance et retenue les nombreux éléments à charge discutés à l’audience. Elle relativise la portée des témoignages de dignitaires du régime Libyens, au premier chef desquels Saif Al Islam Kadhafi, estimant que de ces témoignages, « il ne peut en être tiré argument ni pour confirmer, ni pour infirmer l’hypothèse du financement de la campagne électorale de 2007 par l’État Libyen » (page 328).

Ainsi, alors que par trois fois, en première instance, en appel et en cassation, la justice a estimé qu’il ne pouvait être affirmé que la note « Moussa Koussa », document révélé par Mediapart sur lequel figurait une promesse du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par le régime Libyens à hauteur de 50 millions d’euros, était un faux, les juges ont écrit « qu’il apparaît désormais que le plus probable est que ce document soit un faux ». Ce qui relève de l’appréciation personnelle - prudente - de trois juges qui, n’étant pas certains de l’authenticité d’un document accablant, préfèrent l’écarter.

Ceci étant, ce qui peut apparaître à certains pour un excès de prudence permet ensuite de placer assez haut la barre de l’authenticité et des fondements du jugement.

Le tribunal a considéré « qu’il ne peut être tenu compte des informations contenues dans ces articles ou ouvrages que si elles sont corroborées par d’autres éléments recueillis en procédure », ne souhaitant fonder sa motivation que sur des éléments exempts de toute partialité, vérifiables et incontestables.

Sur l’association de malfaiteurs

Si Nicolas Sarkozy a été relaxé de trois des quatre chefs de prévention pour lesquels il était poursuivi, il n’est pas surprenant qu’une peine de cinq ans, au regard des sept requis, ait été prononcée. Tout d’abord, il faut rappeler qu’il encourait dix ans d’emprisonnement.

Ensuite, il faut comprendre que le délit d’association de malfaiteurs est la matrice dont découlent les autres infractions. Cette infraction souvent décriée par les avocats dans les dossiers de terrorisme et de grand banditisme comme une infraction « fourre-tout » correspond à « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d’emprisonnement » (pages 356 et suivantes du jugement).

Les faits matériels caractérisant l’entente préparatoire au délit de corruption, écrit le tribunal, sont les suivants :

« - Les relations régulières de Claude Guéant avec Ziad Takieddine, nécessairement connues du candidat et approuvées par lui, au cours desquelles Ziad Takieddine a présenté la proposition de financement venant des autorités libyennes, inquiètes à l’idée de savoir quelle politique mènerait la France vis-à-vis de leur pays en fonction des résultats de l’élection ;

- Sa rencontre avec Abdallah Senoussi afin d’évoquer comme contrepartie a minima une attention à sa situation juridique une fois Nicolas Sarkozy élu, ce dernier ne pouvant qu’être au courant, le voyage de son directeur de cabinet étant préparatoire à son propre déplacement ;

- Le voyage de Nicolas Sarkozy en Libye au cours duquel il a pu rassurer Mouammar Kadhafi sur sa volonté de continuer la politique de Jacques CHIRAC s’il était élu, et au cours duquel le dirigeant libyen a évoqué la situation de son beau-frère ;

- La rencontre de Brice Hortefeux avec Abdallah Senoussi afin de crédibiliser ; l’intermédiation financière de Ziad Takieddine, dont il est impossible qu’il n’ait pas rendu compte au candidat ;

- La mise à disposition par Ziad Takieddine de l’ingénierie financière nécessaire, en accord avec Claude Guéant qu’il rencontrait régulièrement. »

Sur la corruption

Ni contrepartie économique, ni contrepartie diplomatique, ni contrepartie juridique n’ont pu être établies. La tournée princière du dictateur à Paris ? « Tant la relance de la coopération diplomatique avec la Libye, que la visite de Mouammar Kadhafi en France, ne paraissent pas après 2007 d’une nature et d’une intensité différente de ce qui s’est pratiqué dans d’autres pays, ou sous le quinquennat de Jacques CHIRAC », considère le tribunal.

Les rencontres entre Abdallah Senoussi, n°2 du régime libyen condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat du DC-10 d’UTA en 1989, qui avait tué 156 personnes dont 142 français, et ses deux plus fidèles collaborateurs, Guéant et Hortefeux ? Si elles valent aux deux lieutenants de Sarkozy de tomber pour corruption, pour l’ancien président, « l’absence d’une action positive pouvant caractériser le délit de corruption une fois Nicolas Sarkozy élu président de la République » entraîne sa relaxe.

Sur le financement illégal de la campagne présidentielle de 2007

Les juges considèrent ensuite que « la procédure ne permet pas de fonder une démonstration que l’argent parti de Libye, quel que soit le canal, serait in fine arrivé dans la campagne. » Malgré les flux financiers mis à jour, le tribunal n’est pas en mesure de démontrer de manière indubitable que cette somme provenait de fonds libyens, ni qu’il y aurait eu un volume d’espèces supérieur aux 35 000 euros recueillis. Dès lors, ne peuvent être retenus ni un recueil de fonds antérieur au 1er mai 2006, ni une acceptation de dons d’un état étranger, ni un dépassement du plafond ou une minoration des recettes ou des dépenses.

Ceci étant posé, le tribunal a pu s’attaquer à l’association de malfaiteurs : Nicolas Sarkozy s’est rendu, selon les juges, « coupable du délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un délit puni de 10 ans d’emprisonnement ».

Ce délit est la peine la plus élevée possible en matière correctionnelle. Il constitue un crime contre la nation, l’État et la paix publique.

« Si Nicolas Sarkozy a agi au moment des faits en tant que candidat, il occupait aussi des fonctions ministérielles qu’il a mises à profit pour préparer une corruption au plus haut niveau, notamment en avalisant les rencontres de son directeur de cabinet tant avec un intermédiaire susceptible de mettre à sa disposition une chambre de compensation occulte utile à tromper les contrôles de l’État sur les circuits financier, et qu’avec le numéro 2 du régime libyen condamné pour des faits de terrorisme commis principalement, contre des citoyens français et européens. Il a également avalisé la rencontre de son ami et soutien, par ailleurs ministre délégué, avec celui-ci.

L’association de malfaiteurs qu’il a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un état étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye.

Nicolas Sarkozy a rappelé à plusieurs reprises que l’enquête n’avait pas démontré d’enrichissement de lui-même ou de ses proches. S’il est exact qu’il n’y a pas eu d’accroissement direct et immédiat de son patrimoine, l’association de malfaiteurs avait pour but de lui procurer un avantage dans la campagne électorale et de lui permettre d’accéder à la plus haute fonction et de l’exercer pendant 5 années.

Il s’agit donc de faits d’une gravité exceptionnelle, de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions même de la République.

Ces éléments rendent nécessaire le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis, toute autre sanction étant inadéquate. Il sera toutefois tenu compte de l’absence d’antécédents au moment des faits, de l’ancienneté des faits et de l’absence de mise en œuvre effective du pacte corruptif, pour en fixer le quantum à 5 ans.

L’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé rendent nécessaire le prononcé d’un mandat de dépôt. Étant observé que M. SARKOZY ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour d’organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. Il sera néanmoins assorti de l’exécution provisoire, mesure indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction.

Il appartiendra donc au condamné de répondre à la convocation du parquet national financier pour fixer la date de son incarcération. En outre, le prononcé d’une amende de 100 000 euros est proportionné à la gravité des faits et au patrimoine, revenus et charges dont le condamné a justifié.

Il y a également lieu de prononcer les peines d’interdiction de toute fonction publique pendant 5 ans et de privation des droits civils, civiques et de famille limitée au droit d’éligibilité pendant 5 ans, avec exécution provisoire. Il est en effet nécessaire, au regard tant des conditions de déroulement des faits commis par un candidat à la fonction suprême, que de l’altération que l’infraction a occasionné à la confiance dans les institutions, de faire interdiction à Nicolas SARKOZY de se présenter à une élection et d’exercer une fonction publique.

Il convient également d’assortir ces interdictions de l’exécution provisoire afin, d’une part, d’en assurer l’effectivité, et, d’autre part en considération du trouble exceptionnel à l’ordre public causé par l’infraction, d’assurer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus. »

Pour en lire et en savoir plus, merci de télécharger cette copie de travail, préfiguration d’un jugement historique rendu au nom du peuple français. Un peuple dont les citoyens ont droit à une information précise et de qualité - loin du bruit des médias et des politiques inquiets de voir des magistrats exercer ce pourquoi la loi les a missionnés : la justice.

Bonne lecture.

Le jugement Sarkozy à lire et à télécharger

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Justice : Darmanin prépare un passage en force au PNF

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