Les stars ont meilleur goût mortes que vivantes

C’est un mythe qui n’a pas cessé de revenir. Orphée aime Eurydice. Eurydice aime Orphée. Le jour de leurs noces, Eurydice est mordue par un serpent et meurt. Inconsolable, Orphée descend la chercher aux Enfers. Jamais un être humain n’avait précédemment pénétré le royaume des morts. Mais Orphée, poète, musicien, ne charme pas seulement les hommes. Sa musique affecte les animaux, les arbres et les pierres. Et son chant de douleur attendrit jusqu’aux gardiens des portes de l’autre monde. Émus par le chagrin du poète, les monarques du monde des morts accordent à Eurydice la possibilité de vivre une seconde fois. Mais ils posent une condition à cette résurrection : Orphée ne doit pas la regarder jusqu’à la fin de leur voyage de retour. Il faut toujours se méfier de ce que vous accordent les dieux. Ils ne vous donnent que pour mieux reprendre. Alors qu’ils ne sont plus très loin de fouler la surface de la Terre, Orphée, tremblant qu’Eurydice ait déjà disparue, ne peut s’empêcher de se retourner vers elle. Et Eurydice meurt une seconde fois. C’est un mythe qui n’a pas cessé de revenir. Et il est revenu dans le monde du cinéma à de nombreuses reprises. Est-ce parce que la religion orphique, dont le rituel principal était le passage par une caverne imitant la descente aux Enfers, se rejouait alors dans la salle de cinéma ? Jamais humain n’avait précédemment pénétré le royaume des morts. Mais le spectateur de cinéma, en payant sa place, pouvait désormais faire l’expérience d’une descente dans un monde obscur où il s’imaginerait sauver une Eurydice, la star du film, pour mieux la voir mourir une seconde fois. C’est à travers les figures semi-divines des stars que Hollywood a pu officier comme une religion. C’est par les stars que Hollywood a pu officier comme LA religion universelle invisible de l’humanité contemporaine. Et c’est notre fascination pour les stars, mais aussi notre désir de rejoindre leur transcendance, qui a rythmé le siècle, du cinéma hollywoodien à la télévision et de la téléréalité aux réseaux sociaux. C’est à partir de cette fascination et de ce désir qu’a pu s’édifier la forme cybernétique atteinte à notre époque par cette religion de la notoriété : le monde virtuel, le projet nécrophile du Metaverse. Un monde dans lequel nous n’avons à faire qu’à des avatars et où les êtres humains que nous croisons sont toujours à la fois vivants et morts. De Vertigo d’Alfred Hitchcock à Lost Highway de David Lynch, c’est à la généalogie de notre monde que nous allons être confrontés. Un théâtre d’ombres dans lequel nous sommes à la fois des spectateurs et des stars. Un Enfer sur le point de se confondre avec la vie. Bienvenue dans La Fin du Film, épisode 6 : Vertigo d’Alfred Hitchcock et Lost Highway de David Lynch.

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