« Un soir, après un cocktail, nous avions été invités chez des amis, avenue Constant Coquelin, je crois. Nous n’étions pas sûrs du numéro de l’étage où habitaient nos amis. Toujours est-il que nous nous sommes trompés d’étage. Nous fîmes notre entrée chez des gens qui nous étaient tout à fait inconnus. On attendait sans doute beaucoup d’invités : à notre grande surprise et à notre grande joie, nous fûmes très chaleureusement accueillis. On nous offrit aussitôt un apéritif bien corsé. Jacques Rigaut semblait ravi de cette méprise et me fit signe de ne pas détromper nos hôtes involontaires. Il se montra extrêmement brillant pendant le dîner, raconta des anecdotes, fit étalage de relations imaginaires. La maîtresse de maison, à laquelle il ne cessait d’adresser des compliments, paraissait charmée. On se souviendrait du succès de cette soirée. De mon mieux, je jouais le même jeu que Jacques Rigaut. Brusquement, il eut assez de cette comédie et prit, fort poliment, congé. Manifestement on regretta notre départ. Jacques Rigaut était enchanté de cette soirée insolite. En sortant de la rue, il éclata de rire : « Il faudra recommencer » me dit-il. Et en effet, nous recommençâmes quelquefois. Jacques Rigaut avait le goût du risque. Nous avions amélioré notre technique. Avant de nous présenter dans un appartement inconnu que nous avions repéré en suivant de vrais invités, nous allions acheter des fleurs et une boîte de chocolats que nous offrions à la maîtresse de maison. Un soir pourtant, notre visite inattendue faillit mal tourner. Le maître de maison commença d’appeler la police. Jacques Rigaut ne se laissait pas intimider : « Nous partons, répondit-il, mais rendez-nous nos fleurs et nos chocolats. »

Jacques Rigaut, sans adverbe

● Auteur● Dadaïsme● Littérature● Suicides

Zuzanna Ginczanka, un jour ou l’autre

● Auteur
● Dadaïsme
● Littérature
● Suicides