Cher Franz-Olivier Giesbert,

Quelle semaine !

Vendredi 24 octobre, vous déclariez au micro de RTL que le sociologue Pierre Bourdieu « est considéré comme un penseur par des gens évidemment qui ne lisent pas de livres », c’est bien noté, dévoilant au passage les coulisses de la très rigoureuse étude qui vous a permis d’arriver à cette implacable conclusion : « J’ai pris un livre de Bourdieu, j’en avais trois ou quatre, j’ai ouvert par hasard, j’ai cité, c’est illisible, on ne comprend rien, c’est quand même terrible », effectivement. Intrigué par cette expérience, que l’attentif observatoire des médias Acrimed n’a lui aussi pas manqué de relever, nous l’avons reproduite avec votre dernier ouvrage, Voyage dans la France d’avant, pour la promotion duquel vous étiez justement invité sur RTL, ce qui nous a permis de nous régaler de quelques lignes dans lesquelles vous déplorez « la tiers-mondisation des services publics et la libanisation des quartiers "populaires" » (1), et là croyez-nous contrairement à vous avec Bourdieu on a très bien compris.

Pas rancunier, nous avons continué de feuilleter votre livre, et c’est alors que nous avons découvert, quelques pages plus loin, que vous estimiez pertinent de reprendre à votre compte les analyses de l’historien Jacques Bainville (1879-1936) lorsqu’il décrit le « peuple français » comme un « composé » (2) ; un auteur à propos duquel vous avec jugé utile de préciser qu’il fut « pilier de l’Action française [mais] pas antisémite, contrairement à Charles Maurras », alors tout va bien. On imagine donc que, selon vous, écrire, comme l’a fait Bainville, au sujet du poète allemand Heinrich Heine, que « c’est la grande impureté de son sang, c’est la névrose juive qui fait de Henri [sic] Heine un poète malsain, un poète à déconseiller et à éviter » (3), n’est « pas antisémite », pas plus que ne l’est la très exquise profération selon laquelle « à sa seule impudeur le Juif se révèle étranger parmi nous » (4) ou la très délicate analyse de la pièce de théâtre Esther de Racine à propos de laquelle Bainville écrivit : « Écoutez-la. Elle est inassimilable. Elle va trahir. C’est Dreyfusette » (5).

De là à penser que Jacques Bainville est considéré comme un historien pas antisémite par des gens évidemment qui ne lisent pas de livres, il y a un pas que nous ne franchirons pas, car nous avons aussi entendu les propos que vous avez tenus le 23 octobre sur le plateau de « Quotidien » sur TMC (6) : « Je reviens toujours aux sources moi, je reprends les textes originaux, ça évite de dire des conneries », on ne vous le fait pas dire. Et l’on en déduira donc que c’est en pleine connaissance de cause que vous avez choisi d’absoudre Bainville de son antisémitisme, une absolution que vous avez d’ailleurs confirmée au cours d’une interview pour le Figaro magazine publiée le 17 octobre : « Grande figure de l’Action française de Charles Maurras, mais pas antisémite, lui, l’historien Jacques Bainville rappelait que la France était comme un isthme où s’arrêtaient conquérants et réfugiés ». Pire encore, vous semblez même, dans votre ouvrage, vous amuser de l’antisémitisme de Bainville en écrivant ironiquement à son propos qu’il était « peu suspect de militantisme cosmopolite » (7), c’est élégant, on va vomir et on revient.

Cher Franz-Olivier Giesbert, votre réhabilition d’un judéophobe notoire et, plus globalement, votre rapport contrarié à l’antisémitisme, ne vous ont pas empêché de bénéficier, comme c’est le cas à la sortie de chacun de vos livres, d’une intense campagne de promotion avec, ces deux dernières semaines, des invitations sur BFM-TV, LCI, RMC, RTL, TMC et, bien évidemment, CNews/Europe 1, médias bolloréens sur lesquels vous êtes désormais un intervenant régulier après avoir longtemps squatté les plateaux de BFM. Côté presse écrite, on signalera les louanges du JDD-Bolloré qui salue « la fresque politique saisissante de Franz-Olivier Giesbert », la présence de votre nom en « Une » de Causeur qui pose la grave question « Sommes-nous foutus ? », une interview dans le Figaro magazine, ainsi qu’un dispositif grandiose dans le Point avec votre portrait à la « Une », une recension dithyrambique, des « morceaux choisis » et des vidéos (ici ou là), tout ceci n’ayant évidemment rien à voir avec le fait que vous signez un éditorial hebdomadaire dans le magazine et que vous l’avez par ailleurs dirigé de 2000 à 2014, c’est vrai que c’est plus simple comme ça.

Une intense campagne de promotion au cours de laquelle vous avez bien évidemment parlé de votre dernier livre, que vous présentez comme « un livre d’amour pour la France » (8) et que l’on pourrait résumer comme un très long et pénible exercice de style sur le thème « C’était mieux avant », ce qui a vous a donné l’occasion de formuler votre nostalgie au moyen de fort intéressants, pénétrants et indispensables constats, entre autres :

- « Les communistes, c’était d’autres communistes… C’était pas les bobos d’aujourd’hui » (9) ;

- « Regardez autour de nous, c’est que des hamburgers, c’est la civilisation du hamburger. Et puis quand c’est pas du hamburger c’est du kebab » (10) ;

- « L’histoire aujourd’hui telle qu’on l’enseigne à l’école… On fait tout sauter. La chronologie c’est… On ne comprend plus rien » (11) ;

- etc.

Avec quelques moments particulièrement gênants, comme lorsque, tandis que vous déploriez sur le plateau de « Quotidien » le fait que, contrairement à ce qui était le cas quand vous étiez jeune, les artistes français ne seraient plus « universels » et écoutés « partout dans le monde », un chroniqueur vous a fait remarquer qu’Aya Nakamura était une artiste très populaire à l’international, s’attirant cette réponse de votre part (12) :

- « Oui, en Afrique ».

Soit ce que l’on appelle communément : un bon vieux truc raciste.

Cette tournée triomphale a également été pour vous l’occasion, au-delà de votre livre, de commenter, avec la perspicacité et la nuance qui vous caractérisent, l’actualité sociale et politique, entre autres :

- à propos de la situation politique en France : « Je suis pour la démocratie, la démocratie parlementaire y’a du bon aussi, m’enfin… y’a certaines limites » ;

- à propos des questions fiscales : « Aujourd'hui on est toujours en train de célébrer des personnages ridicules qui trafiquent des statistiques, je pense à Thomas Piketty ou Gabriel Zucman » ;

- à propos de la « violence » en politique : « Elle s’invite déjà dans la rue avec l’ultragauche et les black blocs, ces fils de bourgeois, qui cassent tout pour le plaisir. Elle a même déboulé, excusez du peu, à l’Assemblée nationale où les élus LFI, quand ils retrouvent les accents des Montagnards ou des Enragés de 1793, font froid dans le dos » ;

- à propos de la condamnation de Nicolas Sarkozy : « Ce qui s’est passé là, c’est-à-dire condamner quelqu’un à de la prison alors qu’il n’y a rien dans le dossier… […] C’est une forme de régicide. Et moi ça me choque parce que ce sont les juges qui se vengent, qui ont décidé de se payer Sarkozy, c’est une honte pour le pays » ;

- à propos de l’immigration : « Étant moi-même fils d’immigré, j’en suis toujours partisan, mais pas de celle-là, incontrôlée et suicidaire, qui creuse notre tombe ! […] C’est de la folie ! L’intégration n’est plus possible. François Bayrou a trouvé le mot juste : il s’agit d’une "submersion" » ;

- etc.

Autant de très subtiles prises de position qui font écho aux éditoriaux que vous continuez de commettre chaque semaine dans le Point et que nous avons lus attentivement en préparant cette missive, nous délectant de votre stupéfiante capacité à proférer des outrances avec une régularité métronomique. Depuis la rentrée, vous nous avez ainsi appris que « la gauche d’atmosphère contrôle à peu près toutes les institutions de la République » (24 septembre), que « la campagne de nazification d’Israël, prétendument coupable de "génocide", a fini par porter ses fruits dans nos sociétés malades, déculturées, décervelées » (22 octobre), « [qu’]une partie non négligeable des Français [a été] élevée au lait d’un marxisme de maternelle (soviétique) » (3 septembre), que « la gauche ne pourra jamais redevenir la gauche tant qu’elle n’aura pas rompu pour de bon avec l’archéo-marxisme économique, l’obsession antisémite et l’aveuglement sur les islamistes » (15 octobre), « [qu’]au lieu d’être obsédé par la redistribution, il faut se demander pourquoi notre système de plus en plus administré, nouvelle version d’un communisme mou, ne marche pas » (10 septembre), que la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État de Palestine résulterait de « sa volonté de complaire au puissant électorat musulman que nos partis de gauche courtisent à qui mieux mieux » (1er octobre), sans oublier cette irrévocable sentence : « Le niveau d’Éric Coquerel en économie : grande section de maternelle (17 septembre).

Cher Franz-Olivier Giesbert, cela fait maintenant plusieurs décennies que vous assénez, à coups de marteau, vos « analyses » et vos « points de vue », lesquels semblent être toujours considérés comme dignes d’intérêt, voire pertinents, par de nombreuses rédactions audiovisuelles et de presse écrite, ainsi que par des animateurs tels que Yann Barthès (TMC), qui a cru bon de vous présenter, le 23 octobre, comme « [un] monument vivant du journalisme français », Thomas Sotto (RTL), qui vous a quant à lui introduit, le lendemain, en annonçant « une voix libre, un grand journaliste, un romancier qui accompagne notre vie politique depuis des décennies », ou David Pujadas (LCI), qui s’est enthousiasmé, le 30 octobre, pour votre livre en affirmant que « c’est une promenade, c’est une fresque, ce sont vos mots, votre verbe, votre musicalité, et c’est ça qui est agréable » (13), on espère que vous n’avez pas été bousculé par tant d’audace et d’irrévérence ; et l’on ne peut ici manquer de se souvenir de l’accueil que vous avaient réservé, lors d’une interview d’anthologie, Nicolas Demorand et Léa Salamé en juin 2021, vous présentant alors comme « un écrivain, un journaliste au verbe haut, et à la plume tranchante ». France Inter : écoutez la différence.

Plusieurs décennies au cours desquelles, ceci expliquant peut-être cela, vous avez multiplié les postes à responsabilité dans la presse écrite, en occupant, entre autres, les fonctions de directeur de la rédaction du Nouvel Observateur (1985-1988), directeur de la rédaction du Figaro (1988-2000), directeur du Point (2000-2014) et directeur éditorial de la Provence (2017-2021), félicitations (14). Le tout en trouvant le temps d’animer diverses émissions de télévision, entre autres et notamment des programmes politico-culturels sur le service public, de « Culture et dépendances » sur France 3 (2001-2006) aux « Grandes questions » sur France 5 (2011-2015) en passant par « Chez FOG » (France 5, 2006-2009), « Vous aurez le dernier mot » (France 2, 2009-2010), « Semaine critique ! » (France 2, 2010-2011) ou « Le Monde d’après » (France 3, 2012-2013), et de nous éclairer de vos lumières dans diverses émissions politiques diffusées sur France Télévisions, notamment « Des paroles et des actes » sur France 2 (2011-2016).

Vous êtes en outre, depuis 1998, membre du jury du prestigieux Prix Renaudot, soit au total un cumul qui faisait dire à votre propos, en juillet 2012, à la journaliste Marion Van Renterghem au fil d’un portrait dans le Monde : « Il tient tous les piliers du système médiatico-politico-littéraire, entre la direction du Point, son invasion des plateaux de télévision, ses émissions culturelles télévisées, ses livres politiques, ses livres d’écrivain, la présidence du jury du prix Renaudot, où il fait et défait les rois avec JMG Le Clézio ». Un homme d’influence et de réseaux qui a su cultiver une proximité avec les pouvoirs politiques, qu’ils soient de droite ou socialistes, dans une posture où la connivence se mêle à la trahison : « Avec les politiques, il joue d’égal à égal. Son ton moqueur et complice les amuse et les décontenance. Il leur glisse les infos dont ils raffolent. En se livrant lui-même avec sa gouaille désinvolte, il attire la sympathie et la confiance. Il dîne, rigole et picole, entre dans les confidences, prend des notes sur ses cahiers à spirale, laisse mûrir les "off" saisis en coulisses, et les grille dans ses livres quand on ne s’y attend plus, quelques années plus tard », c’est du joli.

Et c’est sans doute fort de cette accumulation de capital social que vous avez développé une propension à faire preuve d’une suffisance, d’une arrogance et d’un mépris sans limite, comme lorsqu’un soir d’avril 2012 sur France 2, suite à un numéro de « Des paroles et des actes » où plusieurs candidats à la présidentielle avaient été reçus, vous vous en êtes pris avec dédain aux « petits candidats » qui n’auraient, selon vous, jamais dû être invités (14) :

- Philippe Poutou : « Un type extrêmement sympathique, totalement baba cool. J’ai plein de copains comme ça, d’ailleurs on passe des bonnes soirées, hein, on bouffe des sardines à Marseille, on rigole bien. […] Mais il ne connaît absolument rien de ses dossiers, […] il ne sait pas du tout de quoi il parle, c’est absolument incroyable, […] et d’ailleurs il s’en fout, il s’en fout, et donc c’est pas de la politique… »

- Nathalie Arthaud : « Très intéressant là, c’est un vrai moulin à paroles, enfin moi aussi d’ailleurs dans mon genre, mais franchement ça fait froid dans le dos quand on pense qu’elle est prof d’économie, que nos enfants apprennent l’économie. […] Mais oui je fais preuve d’objectivité, son programme c’est quand même les bronzés font de l’économie, je crois que c’est ça hein, on peut dire que c’est ça en gros hein, voilà. »

- Eva Joly : « Très intéressante, Eva Joly, parce qu’elle a une bonne formule d’ailleurs – c’est un copain qu’a dû lui filer : "Coincée entre la gauche molle et la gauche folle", c’était pas mal, c’était marrant. Mais franchement, c’est l’erreur de casting absolue, on comprend rien de ce qu’elle dit. »

- etc.

À votre palmarès également, un fameux éditorial du Point, daté du 1er juin 2016, dans lequel, à peine plus de six mois après les attentats du 13 novembre 2015 et en pleine mobilisation contre la « Loi Travail », vous avez jugé bon d’établir une comparaison entre la CGT et Daech : « Même si la comparaison peut paraître scabreuse, est-il si illégitime d’oser la formuler ? La France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT. Il va sans dire que ces deux organisations minoritaires ne sont pas de même nature, rassurons tout de suite la police de la bien-pensance. Mais, sur le plan tactique, elles peuvent avoir recours aux mêmes armes. L’intimidation, notamment. » Soit un infâme rapprochement témoignant de votre haine du syndicalisme en général et de « [votre] détestation hallucinée de la CGT » en particulier, ainsi que la qualifiait Sébastien Fontenelle dans l’excellent chapitre qu’il vous a consacré dans l’ouvrage Les Éditocrates 2, paru en 2018 à la Découverte (15).

Nous n’avons pas davantage oublié les immondes attaques que vous avez portées, le 27 mai 2018 sur le plateau de l’émission de Thierry Ardisson « Les Terriens du dimanche » (C8), pour laquelle vous avez un temps été chroniqueur, contre les actrices hollywoodiennes victimes du prédateur sexuel Harvey Weinstein, tutoyant ce soir-là les sommets de l’abjection : « Ces grandes actrices qui se présentent comme des femmes crucifiées, qui ont été violées par un type qui… comment dire… Oui, quand on va, le soir, convoquée par Harvey Weinstein qui est dans sa robe de chambre, on arrive et puis on entre, et voilà il ouvre la robe de chambre... On sait très bien d'ailleurs pourquoi il vous convoque... Donc moi je pense quand même que dans cette affaire-là, ils ont oublié les femmes de ménage, ils ont oublié les filles… les caissières dans la grande distribution, violées, persécutées, harcelées, puis qui finissent parfois par céder… Elles sont pas là. Et ce sont elles, les belles actrices, qui seraient les victimes ? » N’ayant pas pour habitude d’être vulgaire, nous nous abstiendrons ici de tout commentaire.

Et bien évidemment, serait-on tenté de dire, vous n’avez pas manqué de développer une obsession à l’égard de l’islam, qu’il s’agisse de prétendre, dans un éditorial du 1er novembre 2012, que « [l’islam] avance tranquillement ses pions dans les hôpitaux, les cantines ou les programmes scolaires », d’expliquer, le 19 février 2015, que le terme « islamophobie » est « un formidable tour de passe-passe sémantique […] s'appuyant sur l'inculture générale qui ne cesse de faire des progrès [et permettant] d'interdire toute critique contre l'islam » ou d’affirmer, le 21 juin 2019, que « la radicalisation islamique est en marche dans plusieurs secteurs de la société », dans un texte où vous mobilisez les « analyses » de l’essayiste complotiste d’extrême droite Bat Ye’or, dont vous prenez la défense tout en indiquant poliment et sans plus de précision « n'être pas d'accord avec toutes ses thèses », lorsque l’on sait que la principale d’entre elles est l’affirmation de l’existence d’un projet secret nommé « Eurabia » par lequel les élites européennes auraient accepté de se soumettre à une vaste invasion arabo-musulmane, on se dit que vous êtes décidément, à votre façon, très inclusif.

Cher Franz-Olivier Giesbert, nous pourrions multiplier les exemples de ces innombrables saillies réactionnaires, sexistes et islamophobes que vous avez proférées au cours — au moins — des deux dernières décennies, ou nous attarder longuement sur les positions que vous jugez aujourd’hui bon de relayer sur les réseaux sociaux, à l’instar de cet appel à expulser des États-Unis Zohran Mamdani, candidat de gauche à la mairie de New York, avec toute sa famille, qualifiée de « parasites anti-américains », no comment. Notre intention n’est toutefois pas de rédiger une encyclopédie mais bien de nous limiter à écrire une lettre et de souligner que, contrairement à ce qu’ont pu suggérer, sur les réseaux sociaux, certains téléspectateurs de « Quotidien » lors de votre récent passage dans l’émission, vous n’êtes pas simplement un genre de tonton réac un peu pénible lors d’un repas de famille mais un individu nuisible qui, tout en prétendant être « à la retraite » (17), ne se contente pas de ronchonner dans son Point mais éructe ses néfastes obsessions un peu partout et notamment dans les médias audiovisuels où il continue d’avoir son rond de serviette et d’être accueilli avec petits fours et boîte de cirage, ses positions les plus abjectes étant ainsi parfaitement légitimées et banalisées.

En témoigne cette éloquente et navrante séquence, le jeudi 30 octobre, à l’antenne de LCI, avec une chronique au cours de laquelle la journaliste Justine Frayssinet s’est arrêtée sur certains éléments de votre livre, citant entre autres un passage dans lequel vous dénoncez « la volonté des nouvelles générations de nous intégrer, nous, de gré ou de force, à leur société musulmane au lieu de s’intégrer au pays que leurs parents ou eux-mêmes ont rejoint », affirmez que « c’est de plus en plus à la France de s’adapter à eux et non l’inverse » et posez la question « Faut-il accepter que les anciennes colonies nous colonisent et nous imposent leurs traditions, leur mode de vie ? ». Et la journaliste de tranquillement poursuivre sa chronique, sans commentaire, avant de conclure sur vos goûts culinaires et votre amour de « l’œuf-mayo », des « poireaux vinaigrette », du « céleri rémoulade », du « jambon-beurre » et du « camembert au lait cru qui pue la mort », rires en plateau, sacré Franz-Olivier, vous reprendrez bien un peu de fromage avec votre grand remplacement.

Qu’importe finalement ce que vous racontez et qu’importe, en outre, votre goût prononcé pour la diffusion de fake news, qu’il s’agisse d’écrire que Zohran Mamdani est « un homme convaincu que, comme en Afghanistan, la police ne doit pas intervenir en cas de violences conjugales (pour laisser battre les femmes tranquillement ?) », alors que son propos consiste à expliquer que ces violences font partie « [des] nombreuses situations qui seraient bien mieux gérées par des personnes formées pour y faire face plutôt que par une personne armée », de vous insurger contre la prétendue demande de visite, de la part de deux députés LFI, à Nicolas Sarkozy incarcéré à la Santé, laquelle n’a jamais existé, d’affirmer, au cours de l’une de vos nombreuses diatribes anti-écologistes, que « toutes les éoliennes, elles viennent souvent de Chine », ce qui est là encore un mensonge, d’accuser à tort Edwy Plenel et Mediapart de produire des informations « complètement fausses » ou de relayer l’intox de la « montre de luxe » du député LFI Louis Boyard, pourtant débunkée quelques heures après sa diffusion, quel talent (18).

Qu’importent aussi vos discours hallucinés sur certains supposés biais des médias dominants, que vous accusez notamment de parti-pris pro-palestinien (avec entre autres l’évocation de « l'intoxication dont furent des victimes souvent consentantes nombre de nos chers confrères, sur la base de mises en scène truquées »), de « complicité » avec la CGT (« Les Français seront-ils assez bêtes pour gober les mensonges assénés par la CGT avec la complicité de la gauche neuneu et de la presse bien-pensante ? ») ou de propagande anticapitaliste (« Dès les petites classes et jusqu'à notre mort, à travers les médias d'État, on nous bassine du matin au soir avec tout le mal qu'il faut penser de l'hydre capitaliste qui nous suce le sang »), défense de rire. Et l’on ne s’attardera pas ici sur les propos que vous avez tenus au sujet d’une célèbre encyclopédie en ligne dans le cadre d’une interview au magazine de l’éminent Michel Onfray, Front populaire : « Certaines fiches Wikipédia rappellent celles de la Stasi », tout simplement.

Qu’importe, en outre, le fait que vous ayez maintes fois fait la démonstration que vous pérorez à longueur de temps sur des sujets que vous ne maitrisez pas, comme lorsque, lors d’une séquence devenue culte, vous avez sombré, le 1er mars 2024 sur le plateau de BFM-TV, face à l’économiste Michaël Zemmour, à l’occasion d’une discussion sur la réforme de l’assurance chômage au cours de laquelle, face aux arguments, aux chiffres et aux faits avancés par votre interlocuteur, la posture de pilier de comptoir que vous affectionnez tant n’a pas pu vous sauver du naufrage. Mais après tout, lorsque l’on sait que vous êtes capable d’expliquer avec le plus grand sérieux du monde que le prix Nobel de l’opportunisme Manuel Valls est « est une personnalité courageuse qui se bat pour ses idées », on se dit que vous planez tellement haut que plus rien ne doit vous atteindre, tant mieux pour vous mais sachez tout de même que si le ridicule ne tue pas il a une fâcheuse tendance à rendre ridicule.

Et qu’importe, enfin, la décontraction avec laquelle vous êtes capable de vous en prendre à vos interlocuteurs dans des moments où, très franchement, vous gagneriez à faire profil bas, à l’instar du surréaliste échange que vous avez eu avec Yann Barthès alors que vous étiez en train de prendre, avec la grandiloquence qui vous caractérise, la défense de Nicolas Sarkozy face aux juges qui auraient voulu « se le payer pour se venger » :

- Yann Barthès : « Est-ce que c’est pas dangereux de critiquer une décision de justice ? »

- Franz-Olivier Giesbert : « Non mais attendez c’est pas dangereux… Eh bé évidemment quand il y a une injustice… Ah bah alors là, dans l’histoire Dreyfus on sait dans quel camp vous auriez été ! »

Soit une accusation infamante portée par celui qui, dans le même temps, prend un soin tout particulier à réhabiliter un historien antisémite et est même allé jusqu’à écrire que « [l’Action française] ne fut pas non plus globalement rongée par l’antisémitisme » : vous n’avez décidément aucune limite.

Cher Franz-Olivier Giesbert, cette dernière ignominie, pas plus que les précédentes, n’a guère attiré l’attention de vos collègues des médias mainstream, pourtant toujours si prompts à défendre leurs semblables, qui n’ont pas davantage jugé bon de vous questionner sur vos ambiguïtés, doux euphémisme, à l’égard de l’antisémitisme. Ce qui en dit au total tout autant sur vous que sur le système médiatique en général, au sein duquel vous occupez « une position dominante et légitime » que rien ne semble pouvoir remettre en question : ainsi va la vie dans le merveilleux petit monde des grands médias. Et ce qui nous fait penser aux propos d’un certain Pierre Bourdieu qui expliquait, au sujet de certains intellectuels pour médias, ce qui suit (19) : « Ce sont des demi-savants pas très cultivés qui se font les défenseurs d'une culture qu'ils n'ont pas, pour marquer la différence d'avec ceux qui l'ont encore moins qu'eux. Ces gens-là s'approprient l'espace public et en chassent ceux qui ont des choses à dire. […] Actuellement, un des plus grands obstacles à la connaissance du monde social, ce sont eux. Ils participent à la construction de fantasmes sociaux qui font écran entre une société et sa propre vérité. » Allez faites un effort, on vous promet que ce n’est pas très compliqué à comprendre.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Page 15 du PDF de la version électronique.

(2) Pages 40 et 41 du PDF de la version électronique.

(3) Jacques Bainville, « Le vieil utopiste », numéro spécial des Cahiers d’Occident, n°3, première année, Librairie de France, 1927, p. 72, cité dans William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, Les Historiens de garde, Libertalia, 2016.

(4) Jacques Bainville, « La réclame juive », L’Action française, 1er octobre 1907, cité dans Laurent Joly, « D’une guerre l’autre. L’Action française et les Juifs, de l’Union sacrée à la Révolution nationale (1914-1944) », Revue d’histoire moderne & contemporaine n°59-4, 2012/4, pp. 97-124.

(5) Chronique parue dans L’Action française le 1er mai 1913, cité dans Blanc, Chéry et Naudin, op.cit.

(6) À partir de 19’15’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(7) Page 41 du PDF de la version électronique.

(8) À partir de 1’30’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(9) À partir de 3’15’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(10) À partir de 14’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(11) À partir de 14’50’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(12) À partir de 2’45’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre.

(13) À partir de 57’40’’ environ dans le replay de « 24h Pujadas » du jeudi 30 octobre.

(14) Signalons ici que votre embauche à la Provence fut l’épilogue d’une bien belle histoire, ainsi que le rapporte notre camarade Sébastien Fontenelle : « En 2017, deux années après qu’il a – n’écoutant que son courage – rédigé pour Le Point un article à la gloire d’un certain Bernard Tapie, Franz-Olivier Giesbert se voit confier la direction éditoriale du quotidien La Provence par son nouveau propriétaire : un certain Tapie, Bernard. Le monde est petit, et les bienfaits n’y sont jamais complètement perdus. » Un recrutement qui fut d’ailleurs célébré par les journalistes de la Provence avec le vote, moins de six mois après votre arrivée, d’une motion de défiance à votre encontre (par 74 voix sur 87 exprimées).

(15) Transcriptions réalisées, à l’époque, par l’observatoire des médias Acrimed.

(16) Un texte que nous recommandons à nos lecteurs et lectrices désireuses de se familiariser davantage avec vos obsessions, de même que nous recommandons la rubrique qui vous est consacrée sur le site d’Acrimed, particulièrement fournie — et pour cause.

(17) À partir de 26’15’’ environ dans le replay de « Quotidien » du jeudi 23 octobre : « Je vais vous dire c’est très simple : je suis à la retraite et j’écris des bouquins, et de temps en temps je fais des trucs à la télé, mais je suis pas dans le système médiatique puisque je n’ai pas de fonction. Éditorialiste, excusez-moi, c’est un boulot de vieux pigiste, on envoie des trucs, et puis de temps en temps on voit une personnalité politique pour… pour… pour… voilà déjeuner, pour essayer de comprendre les trucs, mais ça n’a rien à voir. On réfléchit, on est au milieu des livres, on pense… C’est fini ça, je suis plus dans ce métier. C’est fini, je l’ai accepté. » Il faut donc partir monsieur, ça devient gênant.

(18) Dans la série « fake news », signalons également votre contribution, cette semaine, à la diffusion d’une vidéo prétendant montrer la « révolte silencieuse des villages corses » suite à une décision de justice ordonnant le démantèlement d’une grande croix dressée sur le domaine communal de Quasquara, en Corse-du-Sud. Sur la vidéo, filmée depuis une voiture, on aperçoit de nombreuses croix le long d’une route, preuve supposée de la « révolte » des habitants qui seraient en train d’installer « des centaines [de croix] dans toute l’île ». Sauf que la vidéo est un fake généré par IA : venant de celui qui s’en prenait, à l’été 2024, aux « milliers de braillards avec un keffieh gavés de fake news par Rima Hassan, la Castafiore de la vidéo truquée », c’est un tantinet gênant.

(19) Entretien avec l’hebdomadaire suisse l’Hebdo, 14 novembre 1991. Texte reproduit dans l’ouvrage Interventions : 1961-2001, publié chez Agone.

Cher Franz-Olivier Giesbert - Boxing Day #54

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