Cher Nathan Devers,

Quelle semaine !

Mardi 2 septembre, on apprenait que vous feriez désormais partie des chroniqueurs réguliers du programme « C ce soir », présenté par Karim Rissouli et diffusé sur France 5, félicitations, après avoir été informés quelques semaines plus tôt que vous prendriez en charge un rendez-vous hebdomadaire sur France Culture, chapeau, et que vous co-animeriez une émission tous les vendredis, samedis et dimanches soirs sur Franceinfo, bravo à vous, il est toujours émouvant d’assister à la consécration d’un philosophe pour médias. Une rentrée déjà très prometteuse, on y reviendra, et particulièrement bien remplie donc, a fortiori dans le mesure où elle s’est accompagnée de la sortie de votre dernier livre, un roman publié aux éditions Albin Michel, qui vient d’ailleurs de faire l’objet d’une critique particulièrement élogieuse sur les antennes de Franceinfo, le monde est petit, et dont le titre paraît faire écho à votre omniprésence médiatique annoncée et semble même, l’avenir nous le dira, prémonitoire : Surchauffe (1).

Notons que la nouvelle de votre recrutement à « C ce soir » a été publiée par le journal le Parisien (2 septembre), lequel avait déjà obtenu l’exclusivité de l’annonce de votre projet d’émission co-animée avec Paul Melun (3 août), et l’exclusivité de l’annonce que cette émission serait diffusée sur Franceinfo (20 août), tout ceci n’ayant assurément rien à voir avec le fait que vous êtes, dans le même temps, chroniqueur pour le journal le Parisien, vous avez de toute évidence bien compris le fonctionnement du petit monde des grands médias. Au total, vous avez ainsi jugé bon de feuilletonner votre arrivée sur les antennes de Franceinfo et de France 5 dans les pages d’un quotidien possédé par Bernard Arnault, première fortune de France qui vient de s’offrir, pour la bagatelle de 200 millions d’euros, un hôtel de luxe sur la Côte d’Azur, lequel quotidien vous rémunère parallèlement pour y publier des chroniques, voilà qui témoigne d’un rapport pour le moins singulier à l’information et au service public qui lui est dédié.

Certains esprits chagrins ont d’ailleurs fait remarquer qu’il était à bien des égards surprenant, voire regrettable, voire lamentable, que le service public ait décidé de faire appel à vous, insistant notamment sur le fait que la principale expérience figurant sur votre CV médiatique était jusqu’alors d’avoir été durant quatre ans chroniqueur sur CNews et Europe 1, autrement dit les médias audiovisuels du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, dans lesquels vous êtes régulièrement intervenu ces dernières années, entre autres sur les plateaux de l’étoile montante Gauthier le Bret (« 100% politique »), de la talentueuse Laurence Ferrari (« Punchline ») ou de l’incomparable Pascal Praud (« L’heure des pros »), voilà qui méritait bien une promotion. Questionné à ce sujet par le Parisien, l’animateur de « C ce soir » Karim Rissouli ne semble toutefois pas y voir le moindre problème, déclarant, à votre propos, ce qui suit : « Je ne sais pas s’il est de droite ou de gauche. Le fait qu’il vienne de CNews n’a pas été un frein », tout va bien alors.

Cher Nathan Devers, nous devons vous avouer que nous sommes de ceux qui ont été interpellés par votre recrutement sur le service public, d’autant plus que nous avions eu l’occasion non seulement de vous entendre sur CNews/Europe 1 mais aussi de prendre connaissance de la façon dont vous avez défendu durant des années, tout en vous posant comme un « intellectuel de gauche », votre présence régulière dans des médias d’extrême droite. C’est ainsi que vous expliquiez par exemple, en mars 2024 chez Pascal Praud, ce qui suit : « Moi ça m’intéresse beaucoup d’être dans un espace de dialogue, de conversation, avec des gens dont je sais que j’ai plus de chances d’être intellectuellement plus éloignés que si j’étais avec des gens avec qui je serai par avance d’accord. Une conception de l’amitié, ou de la conversation, ou du dialogue, qui consisterait à dire "Ah tu as totalement raison", "Non c’est toi qui as raison", ça n’a aucun intérêt, c’est la mort intellectuelle », longue vie à l’intelligence sur CNews.

Et le moins que l’on puisse dire est que vous ne vous êtes pas économisé, puisque l’on peut trouver, sur le compte X de CNews, pas moins de 110 mentions de vos interventions en plateau entre le 1er janvier et le 31 juillet 2025, soit plus d’une tous les deux jours en moyenne, une belle performance dans la continuité de celle réalisée en 2024 avec 228 mentions entre le 1er janvier et le 31 décembre (2), quel talent. Force est en outre de constater que, même si vous avez finalement décidé de quitter la chaîne après la coupure estivale, vous n’avez pas chômé dans la dernière ligne droite avec, au cours des deux dernières semaines de juillet, des présences à l’antenne le 16, le 18, le 19, le 20, le 22, le 24, le 26, le 29 et le 30, soit neuf fois en 14 jours, pour des interventions dans « 100% politique », « Punchline », « Face-à-face », « 180 minutes info » et « Midi news », bravo pour votre disponibilité et votre polyvalence.

Comme tout « bon » chroniqueur de chaîne d’info, vous êtes ainsi capable de parler de tout et — surtout — de n’importe quoi, et de nous éclairer de vos lumières au sujet, entre autres, de la politique de Donald Trump, de la rénovation des quartiers populaires, de la situation politique en Italie, de l’antisémitisme en France, de « la tendance des vacances sans enfants », de la lutte contre le trafic de drogue, de l'avenir de la Syrie, d’une attaque au couteau dans un lycée à Nantes, de la modération de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, du rapport sur l’« entrisme » des Frères musulmans, du « grand oral » d’Emmanuel Macron sur TF1, de la lutte antiraciste, de l’instauration de couvre-feux dans certaines villes, de la place de l’Europe dans les négociations sur la guerre en Ukraine, de la « lutte contre l’islamisme », de l’état du Parti socialiste, des agressions contre les médecins, de la polémique autour de la participation d’Israël à l’Eurovision, de la condamnation de Marine Le Pen, de « l’esprit de révolte du peuple iranien », des positions de La France insoumise concernant la police, du sentiment religieux en France, du droit d’asile, de l’énergie nucléaire, de l’autorité des professeurs, de la politique du régime algérien, de la lutte contre la récidive, des actes anti-chrétiens ou de la crise du métier d’agriculteur, liste non exhaustive, nous n’avons pas trouvé votre avis à propos du transfert d’Adrien Rabiot de l'OM au Milan AC mais nous n’avons sans doute pas assez cherché.

Des interventions toujours très informées, on s’en doute, et très riches de sens, n’oublions pas que vous êtes philosophe, grâce auxquelles on aura pu apprendre (3), entre autres, que « si la Seine est dépolluée mais qu’elle est marron, on n’a pas spécialement envie de s’y baigner », c’est bien noté, que « le couteau, c’est l’arme la plus accessible, on en a tous dans nos cuisines », ça sent l’investigation, que « Donald Trump est le même homme en public et en privé », vous nous raconterez vos vacances à Mar-a-Lago, que « le rapport au réel de la jeunesse d’aujourd’hui est médiatisé par le virtuel », ce que l’on appelle enfoncer une porte déjà grande ouverte, que « la mort de Dieu a été vécue en France de manière particulière », on vous croit sans peine, ou encore que « Michel Blanc, c’était Jean-Claude Dusse, mais pas seulement », sur un malentendu ça passe. Sans oublier cette fulgurance d’avril 2024 au sujet d’Israël et de l’Iran : « C’est la première fois depuis 2500 ans que ces deux entités politiques sont dans un affrontement », en voilà une déclaration apparemment très pénétrante mais qui ne veut absolument rien dire.

Un intellectuel, donc, qui se revendique en outre « de gauche », ce que vous n’avez pas manqué de prouver à de multiples reprises ces dernières années en faisant montre d’une remarquable capacité à résister aux pressions idéologiques de la droite et de l’extrême droite, comme en témoigne ce florilège de déclarations et prises de position sur les antennes des médias Bolloré, totalement à contre-courant de ce que l’on y entend habituellement (4) :

- « À l’échelle mondiale, il y a aujourd’hui un danger physique absolu à être chrétien » (avril 2025) ;

- « La police est la seule institution qui est visée par une forme de haine ontologique personnelle des salariés qui travaillent dedans » (octobre 2024) ;

- « Le Hamas est prêt à faire massacrer sa propre population. Ils sont prêts à tout pour faire des choses abominables » (août 2024) ;

- « Que l’école soit menacée par l’islamisme, c’est un fait qui est avéré » (mars 2024) ;

- « Cette alliance de la gauche [le NFP] reprend le rêve du Front populaire pour faire une union contre-nature avec des gens [LFI] qui, depuis sept mois, ont dépassé toutes les lignes rouges de la République » (juin 2024) ;

- « Si le Hamas décidait de libérer les otages, la guerre s’arrêterait instantanément » (septembre 2024) ;

- « Certains comme La France insoumise critiquent le droit du sol en Nouvelle-Calédonie alors qu’ils le défendent en métropole » (mai 2024) ;

- « L’héritage de la lutte antiraciste a été dévoyé, trahi et détruit » (mars 2025) ;

- « Le régime algérien est prêt à tout pour nous frapper au cœur » (février 2025) ;

- « L’importation de la cause palestinienne n’a rien à avoir avec les Palestiniens, Mathilde Panot ne savait même pas placer la Palestine sur une carte » (août 2024) ;

- Etc.

Nos lectrices et lecteurs peuvent imaginer sans mal, au vu de cette sélection là encore non exhaustive, à quel point vos interventions ont pu bouleverser les équilibres idéologiques sur les plateaux de CNews et d’Europe 1, même si pour être, contrairement à vos anciens employeurs, tout à fait honnête, nous devons admettre qu’il vous est arrivé, parfois, de défendre certains points de vue peu habituels sur les chaînes Bolloré, comme lorsque vous avez affirmé que « même si ce n’est pas écrit dans la Constitution, la tradition parlementaire aurait voulu qu’Emmanuel Macron propose au Nouveau Front populaire de former un gouvernement », que « c’est quand-même étonnant de voir le président de la République reprendre des relents transphobes, lorsqu’il en a été victime à travers cette rumeur qui visait sa femme », que la parodie de la Cène durant la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques pourrait « donner une forme d’inspiration voire de modèle à tous ceux qui dans le monde se battent contre des théocraties » ou, à propos des politiques répressives en matière de drogues, que « la répression ne fait pas reculer l’addiction », ce n’est pas faux mais en même temps tout cela ne casse pas trois pattes à un canard fasciste.

Et tout cela ne pèse en outre pas bien lourd face aux antiennes d’extrême droite que vous avez, sans visiblement trop en souffrir, reprises à votre compte, jusqu’à jouer à l’employé modèle en volant, au nom de la « démocratie », au secours de C8 lors du non-renouvellement de son canal TNT, sans même parler des dispositifs dans lesquels vous avez accepté durant quatre années de vous insérer et où, quand bien même vous auriez parfois défendu des points de vue un tant soit peu hétérodoxes dans des médias d’extrême droite, vous jouiez surtout un rôle de caution « pluralisme » en acceptant de discuter avec des invités à peu près tous du même bord. À l’image de ce plateau exemplaire de « Punchline » où vous avez paisiblement devisé avec Eugénie Bastié (FigaroVox, invitée permanente de CNews), Louis de Raguenel (Europe 1 et le JDD-Bolloré, ex de Valeurs actuelles), Jean-Sébastien Ferjou (Atlantico, habitué de CNews), Thibault de Montbrial (partisan de « l’union des droites »), Céline Pina (essayiste à l’empathie singulière) et Éric Naulleau (que l’on ne présente plus), c’est beau la diversité des points de vue.

Une caution sur laquelle la direction de CNews n’a d’ailleurs pas manqué de s’appuyer lorsque, mise en difficulté, en février 2024, lors d’une audition à l’Assemblée nationale au cours de laquelle la question du manque de pluralisme à l’antenne fut posée, a mis en avant, par la voix de son directeur de l’information Thomas Bauder, votre nom : « Nous avons un expert médical, Brigitte Milhau, un expert militaire, le général Bruno Clermont, un expert judiciaire, Georges Fenech, ou encore un expert "idées", Nathan Devers, diplômé de Normale sup. Nous sollicitions auparavant des experts ès qualités, qui intervenaient deux minutes sur les plateaux, comme à iTélé ; nous préférons désormais sélectionner des experts susceptibles de développer davantage leur analyse et de participer au débat ». Servir de planche de salut à un média d’extrême droite en étant présenté par sa direction comme son « expert "idées" » légitimé par son passage par l’École Normale supérieure : pas de doute, ça claque sur un CV.

De même que claque sur un CV le fait d’avoir été en 2018, alors que vous n’étiez âgé que de 20 ans, nommé au poste d’« éditeur » de la « revue » de « BHL », qui vous avait pris sous son aile après que vous lui eûtes fait part de votre admiration pour sa pièce de théâtre Hôtel Europe, un chef-d’œuvre dont les représentations furent malheureusement interrompues faute de spectateurs. Au sujet de cette rencontre, nous ne pouvons résister ici à reproduire le passage du portrait que l’Obs vous a consacré l’an dernier : « À ce passionné, il manquait un mentor. Il le trouve en assistant à une représentation d’"Hôtel Europe", la pièce de Bernard-Henri Lévy. Enthousiasmé, il lui écrit. Une amitié naît, faite de goûts communs et d’admiration mutuelle. Nathan a souvent les mêmes mimiques, mine sombre, sourcil levé, que BHL. Celui-ci ne tarit pas d’éloges sur son poulain, qui évoque son "exigence extrême" et sa "grande bonté" ». Submergé par l’émotion, nous nous abstiendrons ici de tout commentaire…

… même si nous avons tout de même pris le temps de jeter un œil à vos productions sur le site de ladite revue, la Règle du jeu, où, entre un article (juin 2021) expliquant à quel point les films de BHL sont formidables, un article (juin 2018) expliquant à quel point la pièce de théâtre de BHL Last Exit Before Brexit est formidable et un article (juin 2025) expliquant à quel point le documentaire de BHL Notre guerre est formidable, vous avez trouvé le temps de déployer toute votre pensée (« de gauche ») dans des conditions moins contraintes que sur CNews, et ça vaut le détour. Comme dans cet article où vous expliquez que Merci patron !, le documentaire de François Ruffin (5), n’est pas du tout formidable, notamment parce que « la seule préoccupation [du réalisateur] est, non de servir l’intérêt général, mais de défendre celui de ce qu’il appelle une classe – donc de diviser, de monter les Français les uns contre les autres, de déconstruire méthodiquement le socle de la volonté générale », pour votre information nier l’existence de classes sociales aux intérêts contradictoires n’est pas très « de gauche ». De même qu’il n’est pas très « de gauche » d’écrire, toujours à propos de François Ruffin et de Merci patron !, que « son choix de réalisateur n’est pas digne d’un futur député, mais d’un délégué de collège qui essaie de négocier une augmentation de la durée de la récréation », il faut tout de même faire preuve d’un certain aplomb pour être capable d’exprimer autant de mépris alors que l’on est âgé de 19 ans, élève à l’ENS et que l’on n’a jamais travaillé de sa vie (6), on comprend que BHL ait adoré.

Cher Nathan Devers, contrairement à l’Obs dans le portrait cité plus haut, nous ne pensons pas que, « de BHL à CNews », vous ayez été contraint de faire un « grand écart ». Déjà parce que votre mentor ne semble guère faire face à un cas de conscience lorsqu’il s’agit d’aller s’exprimer dans les médias Bolloré, comme il l'a encore fait cet été en répondant aux questions de la « journaliste » Sonia Mabrouk dans la matinale de CNews/Europe 1. Et surtout parce que la double casquette « philosophe-chroniqueur pour chaîne d’info » semble en réalité être devenue pour vous une véritable marque de fabrique, que vous revendiquez comme un geste intellectuel à part entière, ainsi qu’on a pu le lire dans un portrait publié en 2022 par le Parisien : « [Nathan Devers] dit faire partie d’une génération qui trouve dommage le fossé entre les intellectuels universitaires et les intellectuels médiatiques. […] Nathan Devers aimerait participer à la réconciliation de ces deux milieux. Et il sait de quoi il parle. Il n’a que 24 ans, mais il est déjà écrivain, philosophe, prof à la fac et chroniqueur. Incompatible ? Au contraire, conclut-il : "L’un nourrit l’autre" ». Et c’est sans doute dans cet esprit de réconciliation que vous avez poussé le vice jusqu’à accepter d’enregistrer un « corrigé du bac de philo » d’une minute et trente secondes diffusé sur le compte TikTok de CNews, surtout ne changez rien.

Lorsque l’on vous écoute et vous lit, il est d’ailleurs difficile de ne pas penser aux écrits de Pierre Bourdieu sur les « intellectuels médiatiques », et notamment à ces lignes de Sur la télévision qui semblent avoir été, bien que publiées un an avant votre naissance et des années avant l’avènement des chaînes d’information en continu, écrites pour vous : « Un des problèmes majeurs que pose la télévision, c’est la question des rapports entre la pensée et la vitesse. Est-ce qu’on peut penser dans la vitesse ? Est-ce que la télévision, en donnant la parole à des penseurs qui sont censés penser à vitesse accélérée, ne se condamne pas à n’avoir jamais que des fast-thinkers, des penseurs qui pensent plus vite que leur ombre […]. Il faut en effet se demander pourquoi ils sont capables de répondre à ces conditions tout à fait particulières, pourquoi ils arrivent à penser dans des conditions où personne ne pense plus. La réponse est, me semble-t-il, qu’ils pensent par "idées reçues". Les "idées reçues" dont parle Flaubert, ce sont des idées reçues par tout le monde, banales, convenues, communes ; mais ce sont aussi des idées qui, quand vous les recevez, sont déjà reçues, en sorte que le problème de la réception ne se pose pas » (7). Toute ressemblance…

Nous doutons toutefois que ce type de critique vous atteigne, dans la mesure où il semble évident qu’au total tout ceci n’est pour vous qu’un jeu, entre la posture et l’exercice rhétorique, quitte à aller tranquillement vous chamailler avec des idéologues d’extrême droite, un jeu qui a l’air de grandement vous amuser tant les problèmes à propos desquels vous dissertez à la télévision sont éloignés de votre quotidien et n’ont, concrètement, aucune incidence sur votre vie. « J'aime bien l'exercice de commenter l’actualité, ça connecte au réel », expliquiez-vous ainsi à Libération dans un moment de touchante — et involontaire ? — sincérité, reconnaissant de la sorte votre extériorité absolue par rapport aux sujets de vos bavardages, ce qui n’a finalement rien d’étonnant venant de celui qui a grandi dans le quartier d’Auteuil, à propos duquel Ouest-France nous a appris que « c’est lors d’un séjour de séminaire d’été à La Plagne que Nathan, adolescent, prit goût à l’écriture : "J’aimais déjà bien les rédactions, mais il y a eu comme un déclic à la montagne" », c’est touchant, et qui semble trouver pertinent d’affirmer ce qui suit : « Je connais beaucoup de gens, beaucoup d’étudiants (en khâgne, à l’École Normale) qui, bien qu’ils soient proches de La France insoumise, sont d’une grande rigueur intellectuelle et de bonne volonté », voilà ce qui s’appelle être connecté au réel.

Cher Nathan Devers, lorsque vous avez présenté, dans le Parisien, votre nouvelle émission sur Franceinfo, vous avez expliqué qu’il s’agirait « [d’]un carrefour où l’on décryptera l’actualité à travers le regard d’artistes, d’historiens, de philosophes, de diplomates ou d’écrivains, [qui] ne sera pas une interview mais bien une conversation, un échange d’idées », autrement dit un concept d’une originalité bouleversante, ce dont témoigne d’ailleurs son titre : « Le Pour et le Contre ». Et d’ajouter : « On vit dans une époque passionnante et on veut la questionner dans une logique où différentes voix construisent un dialogue fécond », il faut vraiment être éminemment privilégié et se sentir particulièrement protégé (8) pour considérer qu’une époque marquée par le chaos climatique, la guerre génocidaire à Gaza, l’ascension des néofascismes, la multiplication des conflits armés, l’explosion des inégalités et la généralisation de la violence dans les rapports sociaux serait « passionnante » et propice au « dialogue fécond », tant mieux pour vous et tant pis pour les autres.

Un « dialogue fécond » que vous avez choisi de mener avec Paul Melun, qui co-anime à vos côtés « Le Pour et le Contre » et qui est, comme vous, un transfuge de CNews, décidément ; un co-débatteur adepte des tribunes dans le FigaroVox mais qui se revendique « gaulliste de gauche », tout un programme, et qui s’est notamment distingué ces dernières années en affirmant que « nier le racisme anti-blanc est extrêmement dangereux », que « la déconstruction des valeurs engendre une société du vide », que « la gauche républicaine [aurait dû] contribuer à la réussite du gouvernement Barnier », que « dans le monde du politiquement correct, la seule transgression autorisée est la haine à l’égard des hommes blancs », que « les combats écologistes sont souvent le paravent de luttes intersectionnelles radicales » ou que « la gauche a trouvé comme électorat de substitution les "bobos" et les jeunes de banlieue », soit un type là encore bien à gauche. Jusqu’à ce cri du cœur, lors d’une discussion publique avec vous à la Sorbonne : « Ma gauche, ce n’est pas la piste cyclable non genrée », voilà qui promet effectivement des dialogues féconds.

Et comme on pouvait s’y attendre, la première de l’émission « Le Pour et le Contre » fut un grand moment de « décryptage de l’actualité » et de « questionnement d’une époque passionnante », au cours de laquelle vous avez entre autres cru bon d’asséner, à propos du mouvement « Bloquons tout » et de la perspective de la mobilisation du 10 septembre, vos certitudes de philosophe de plateau télé : « Je trouve ça paradoxal de bloquer socialement une France qui est déjà bloquée politiquement. Il me semble que les blocages sociaux n’ont de sens et de vertu que s’ils viennent essayer de compenser une politique qui est trop confiante en elle-même ». Soit un superbe combo entre arrogance, suffisance et méconnaissance totale de l’objet de votre intervention, particulièrement représentatif de ce qui vous tient lieu de pensée et, au passage, de ce que le service public de l’information juge bon de financer et de mettre en avant, dans une logique toujours plus visible de mimétisme des chaînes privées, quitte à aller faire son marché parmi les chroniqueurs formés dans les médias Bolloré.

Au total, cher Nathan Devers, vous faites partie des symptômes d’une époque où la légitimité médiatique se construit en vase clos, où l’on peut faire ses armes sur une chaîne d’extrême droite avant d’être recruté sur le service public, et où les bavardages entre individus qui ne sont ni spécialistes des sujets dont ils parlent ni concernés par les politiques qu’ils critiquent ou soutiennent sont présentés comme des productions culturelles dignes d’intérêt. Des phénomènes dont vous avez choisi de bénéficier en toute connaissance de cause puisque, questionné l’an dernier par Ouest-France sur la récurrence de vos passages dans les médias, vous expliquiez alors que « le risque, c’est de devenir une sorte d’éditorialiste au sens négatif du terme, c’est-à-dire quelqu’un qui ne connaît pas grand-chose, qui parle de tout, qui a des certitudes sur tout, ce qui insupporte tout le monde et à juste titre ». Félicitations, mission accomplie !

Cordialement,

Jules Blaster

Cher Nathan Devers - Boxing Day #46

● Bolloré● Medias

Cher Nathan Devers - Boxing Day #46

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