Chère Céline Pina,

Quelle semaine !

Dimanche 30 novembre, vous déclariez, à l’antenne de la très nuancée chaîne d’information israélienne i24News, que la manifestation de soutien à la Palestine organisée la veille à Paris avait démontré que « le drapeau palestinien devient un instrument de violence et d’appel à la prise de pouvoir en Occident et particulièrement en France », c’est bien noté, ajoutant que « derrière cette prise de pouvoir, il y a une logique d’épuration et d’élimination », rien que ça. À l’appui de cette « thèse », vous affirmiez que, pour les manifestants, « l’idée, c’est d’expliquer que tous les blancs, tous les Occidentaux, tous ceux qui ont notre manière de vivre, notre façon d’être et de penser, donc des gens qui se battent pour l’égalité et la liberté, sont tous en fait d’ignobles colons dont les valeurs sont perverties et que le monde musulman doit purger », si c’est vrai c’est très grave.

En cause ? Les slogans « De Paris à Gaza, résistance » et « De Paris à Gaza, intifada », scandés lors de la manifestation qui s’est tenue à Paris le samedi 29 novembre à l’occasion d’une journée nationale de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza et, plus globalement, aux droits du peuple palestinien, à l’appel notamment de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et du collectif Urgence Palestine. Une initiative rejointe et appuyée, entre autres, par des ONG et associations telles Amnesty International, la Cimade, la Ligue des droits de l’homme, le MRAP ou le Mouvement de la paix, des syndicats tels la CGT, la FSU, Solidaires, la Confédération paysanne ou l’UNEF, et des organisations politiques telles La France insoumise, le NPA, le PCF, les Écologistes, l’Après ou le Parti socialiste. Soit, chacun pourra la constater, une belle brochette d’épurateurs ethniques.

Et c’est toujours au cours de vos commentaires sur cette manifestation que vous avez jugé bon d’ajouter, vos premières outrances n’ayant pas suffi, ce qui suit : « C’est un monde qui est totalitaire. Dans le monde des nazis, il n’y avait pas de place pour autre chose que les Aryens. Dans le monde des islamistes, il n’y a pas de place pour autre chose que les islamistes. Même les musulmans peuvent être considérés comme pas assez musulmans et mériter d’être épurés. » Et, histoire de ne pas s’arrêter en si bon chemin : « On est quand même en face d’une folie totalitaire qui nous rappelle réellement ce qui s’est passé au XXe siècle, ce qui a mené à la Shoah et à la Deuxième Guerre mondiale », le tout en à peine deux minutes, toutes nos félicitations pour cette performance qui mérite un premier prix au concours Godwin (1).

Chère Céline Pina, pour être tout à fait honnête, nous devons admettre qu’il serait particulièrement injuste à votre encontre de réduire ce qui vous tient lieu de pensée à ces seules récentes déclarations, aussi lumineuses soient-elles, et que c’est en réalité l’ensemble de votre œuvre qui mériterait d’être récompensée tant vous faites preuve, depuis de nombreuses années, de régularité, de constance et même de persévérance dans l’abjection. Cette missive sera donc une forme à la fois d’hommage et de tribut, voire de plaidoyer en votre faveur, tant il nous paraît important que l’ensemble des immenses honneurs dus à une personnalité aussi imaginative, féconde et opiniâtre que vous dans tout ce qui touche au domaine de l’ignominie, soient rendus.

Votre nom n’est probablement pas inconnu aux yeux et aux oreilles des lectrices et lecteurs du Boxing Day, qui ont peut-être déjà pu se familiariser avec votre vision du monde en subissant, sur les réseaux sociaux, les extraits de vos interventions médiatiques, régulièrement publiés sur les comptes de CNews/Europe 1, et qui ont déjà eu, en outre, l’occasion de vous croiser dans certaines de nos précédentes lettres, telles celles adressées à l’inénarrable universitaire Florence Bergeaud-Blackler (15 mars 2025), à l’immensément talentueuse « journaliste » Laurence Ferrari (7 juin 2025), au navrant revenant Paul Amar (2 août 2025) ou encore au digne héritier de BHL Nathan Devers (6 septembre 2025), il était vraiment temps qu’on s’occupe de vous.

La sortie qui vous a valu, dans la dernière période, une forme de célébrité, est une phrase que vous avez prononcée, le 26 octobre 2023, sur le plateau de CNews, à propos des bombardements israéliens sur Gaza et du fait qu’ils touchaient indistinctement civils et combattants, tuant entre autres et notamment des enfants palestiniens. Ce soir-là, donc, vous avez estimé utile d’apporter la précision suivante : « Une bombe qui explose et qui va détruire et qui va faire des dégâts collatéraux tuera sans doute des enfants, mais ces enfants ne mourront pas en ayant l’impression qu’en face d’eux l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre ». Contrairement, d’après vous, aux victimes israéliennes des attaques du 7 octobre 2023, que vous décrivez comme « [d]es enfants qui avaient 8, 9, 10 ans, [d]es femmes… qui sont partis en emportant comme dernière image une image d’inhumanité, d’atrocité, et de mépris de ce qu’ils sont. »

Voilà voilà.

Votre « logique » est donc la suivante : même si vous avez admis, au cours de la même intervention, « [qu’]un mort palestinien, un mort israélien, ça reste deux morts », notons ici qu’affirmer le contraire eut été pour le moins audacieux, les victimes du 7 octobre 2023 auraient été selon vous tuées avec « inhumanité », « atrocité » et « mépris de ce qu’ils sont », tandis que les enfants de Gaza assassinés dans des bombardements seraient morts sans avoir eu « l’impression, qu’en face d’eux, l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre ». Une nuance selon vous essentielle puisque, ainsi que vous l’expliquiez le même soir, « sinon le règne de l’émotion met des signes égal entre toutes les victimes », il ne manquerait plus que ça, alors que « la manière dont ils ont été tués […] nous parle de notre inhumanité ou de notre humanité. » Comprendre : contrairement aux combattants du Hamas, qui auraient basculé dans « l’inhumanité » en commettant les crimes du 7 octobre 2023, l’armée israélienne, bien qu’elle tue des enfants palestiniens, n’aurait, elle, pas renoncé à son « humanité ». Diantre.

Chère Céline Pina, nul besoin de caricaturer ce pénétrant raisonnement, comme l’ont fait certains qui ont cru bon de publier un montage de vos propos en retirant la formule « un mort palestinien, un mort israélien, ça reste deux morts », pour comprendre que, contrairement à ce que vous proclamez, selon vous toutes les victimes ne se valent pas. Il n’est en effet pas nécessaire d’être un expert en rhétorique, en philosophie ou en célinepinalogie pour comprendre que votre prétendue « argumentation », sous couvert d’une distinction hasardeuse entre les intentions supposées de ceux qui commettent les crimes, ne vise à rien d’autre que légitimer les agissements de l’armée israélienne, aussi atroces soient-ils, et, dans le même mouvement, à justifier les phénomènes de compassions sélectives à l’égard des victimes dans la mesure où, contre « l’émotion [qui] met des signes égal entre toutes les victimes » vous prônez une « raison » qui, de facto, les classe et les hiérarchise.

Si nous nous attardons sur cet épisode qui date maintenant d’il y a un peu plus de deux ans, c’est parce qu’il est symptomatique de votre vision du monde et qu’il vous a collé — et continue de vous coller — à la peau, au point que vous vous êtes sentie obligée de vous justifier de vos propos plus d’un an après, le 17 novembre 2024, en publiant, sur votre compte X, une explication de texte à destination de celles et ceux qui continuaient de rappeler votre très singulière empathie à l’égard des enfants palestiniens. Et c’est ainsi que vous avez estimé utile d’écrire, entre autres, ce qui suit : « Les victimes comptent autant les unes que les autres, mais la manière dont on les tue est différente. Dans un cas il y a une haine qui s’exhibe et se filme en torturant et massacrant des civils, dans l’autre c’est une bombe, elle ne vise pas les civils même si elle les touche aussi. La bombe n’a pas d’intention, elle ne choisit pas, les terroristes du Hamas, si et ils choisissent de massacrer les gens. » Pauvre bombe qui ne fait même pas exprès de tuer des enfants.

On a hâte de vous entendre expliquer que personne n’a « choisi » de larguer une bombe sur Hiroshima, qu’un sniper ne tue pas car c’est sa balle qui s’en charge ou qu’une mine antipersonnel n’est pas une arme à condition de ne pas marcher dessus. Et plus sérieusement, cette piteuse justification, que vous avez pourtant pris le temps d’écrire, donc sans être sous la pression d’un plateau TV sur lequel il peut arriver de s’exprimer maladroitement, est au total encore pire que votre propos de départ puisque vous réussissez l’exploit d’ajouter le grotesque à l’abject en expliquant tranquillement que les Palestiniens de Gaza ne sont pas tués par l’armée israélienne mais par « une bombe », en d’autres termes que personne n’est responsable de leur mort, désolé les enfants vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, c’est la faute à pas de chance — et à une bombe facétieuse.

Notons par ailleurs qu’avec cette publication vous avez su faire preuve d’un sens très développé non seulement de l’à-propos mais aussi du timing, puisque vous avez en outre cru bon de répéter ce jour-là votre mantra selon lequel les attaques du 7 octobre 2023 constitueraient un singulier « crime contre l’humanité » tandis que les Gazaouis seraient de banales victimes des « ravages de la guerre », pseudo-justification juridique à vos indignations à géométrie variable : « Le droit international fait la différence entre un crime contre l’humanité et les morts liés à la guerre. Les victimes comptent autant les unes que les autres, mais la manière dont on les tue est différente. » Quatre jours plus tard, le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale émettait des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas et contre Benyamin Netanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité », sans que cela semble vous perturber et sans que vous jugiez bon de revenir sur vos propos, confirmant que ces derniers avaient une cause unique : le racisme.

Chère Céline Pina, votre sortie sur les enfants de Gaza qui « ne mourront pas en ayant l’impression qu’en face d’eux l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre », bande de petits veinards, est en effet loin d’être isolée. Et lorsque l’on prend le temps de vous écouter et de vous lire, un truc très pénible, on ne peut qu’être frappé par la régularité avec laquelle vous avez démontré à quel point votre misérable verbiage a pour seule fonction de — mal — dissimuler votre détestation du peuple palestinien dans son ensemble, auquel vous ne daignez d’ailleurs même pas reconnaître le statut de peuple, qu’il s’agisse d’évoquer, lors d’une interview sur une radio israélienne, « les Palestiniens, enfin les Arabes vivant dans ce coin du monde » ou d’expliquer, à l’antenne d’i24News, que les manifestations du 29 novembre « [n’exprimaient] pas du tout une demande de reconnaissance d’un quelconque peuple, si encore il existe », alors pour information, et ne vous en déplaise, le peuple palestinien existe encore malgré le génocide —plein d’humanité — perpétré par l’État d’Israël.

Détestation : le mot n’est pas galvaudé lorsque l’on sait que vous êtes par exemple capable de suggérer de déchoir Rima Hassan de sa nationalité française, de déclarer que le drapeau palestinien « ne représente pas un peuple constitué mais une idéologie de haine et de mort », de prétendre qu’en ne soutenant pas suffisamment Israël dans sa guerre génocidaire à Gaza « nos élites ont fait les mêmes erreurs qu’en [19]40 et sont d’une amoralité totale », parole d’experte, d’écrire que les territoires palestiniens seraient « [dirigés] par des fanatiques qui, qu’ils appartiennent au Hamas ou à l’Autorité palestinienne, haïssent les Juifs et les Occidentaux, ne voient pas pourquoi ils ne pourraient pas aduler Hitler et ont refusé à maintes reprises un État car leur priorité était d’annihiler Israël et de massacrer les Juifs », ou de proclamer ce qui suit : « [Les Palestiniens] ont refusé d’avoir un État parce que, dans le fond, ils préféraient haïr et consacrer toute leur énergie à la destruction d’Israël plutôt que de sauver leurs propres enfants. Quand vous êtes face à des gens comme ça, à un moment donné, on arrête de jouer. Vous ne voulez pas d’État, vous ne voulez pas d’État. Un statut de réfugié à vie, ça n’existe pas. Trouvez donc votre place dans le monde. Après tout, des tas de gens ont pu le faire. Mais aujourd’hui, la solution à deux États, elle est morte. Et elle est morte parce que, un, vous l’avez voulu et deux, parce qu’aujourd’hui, qui peut vouloir avoir pour voisin des gens pareils ? »

Il nous arrive parfois de l’écrire dans nos missives, mais nous ne l’avons probablement jamais autant pensé : histoire de rester poli, nous nous abstiendrons ici de tout commentaire. De même que nous nous abstiendrons de commenter vos autres récentes déclarations concernant les Palestiniens et le fait que personne n’en voudrait comme voisins : « Si vous regardez les gens et vous leur dites bah écoutez ça tombe bien il se trouve qu’on est en train de ramener plein de Palestiniens en France. Les trois-quarts du temps, ceux qui peuvent sortir je vous garantis qu’ils ont des liens très forts avec le Hamas. Eh bien, entre un juif pour voisin et ces nouveaux martyrs de la paix que nous allons installer chez nous vous choisissez qui comme voisin ? Je vous garantis que les gens ne vous répondent pas, ils baissent les yeux. Au moment où ils baissent les yeux ils ont répondu à la question, et ce n’est pas le Palestinien. »

On va vomir et on revient.

Chère Céline Pina, les Palestiniens ne sont pas les seules cibles de votre détestation, et c’est en réalité un racisme global qui transpire de vos prises de position, comme nous l’a confirmé un visionnage de vos diverses — et nombreuses — interventions sur CNews/Europe 1, ainsi que sur Sud Radio, une station sur laquelle vous avez eu un poste de chroniqueuse-éditorialiste hebdomadaire, félicitations. Des prises de parole au cours desquelles, par exemple, vous affirmez « [qu’]on a passé 30 ans à expliquer que le péché fondamental de l’Occident c’était le racisme, et [qu’]on a construit en fait une mentalité autour de ça [alors qu’aujourd’hui] nous sommes attaqués non pas parce que nous avons péché mais au contraire parce que nous portons très haut l’idée d’égalité », si vous le dites, vous prétendez « [qu’]il n’y a pas d’islamophobie en France » car « lorsque vous regardez les chiffres, notamment les chiffres des atteintes antireligieuses, il y a une seule religion qui est épargnée et c’est l’islam », c’est bien noté, ou vous regrettez que l’on ne puisse pas expliquer que l’immigration pose « une question de cultures incompatibles » sans se faire traiter de raciste, décidément on ne peut plus rien dire.

Avec, au milieu de ces fulgurances, de véritables moments de grâce, comme lorsque vous affirmez que « si vous importez [sic] des Ukrainiens il est probable qu’en une génération ils soient intégrés », on va investir dans l’Ukrainien alors, ou lorsque vous jugez bon d’expliquer que « dans les pays du Maghreb, on estime que l’école, l’éducation tout ça, c’est une perte de temps ». Non ? Si, et le tout dans un contexte qui n’arrange pas votre cas : « Quand vous regardez, quand même, chez les immigrés, qui réussit et qui ne réussit pas, et que vous rentrez dans le détail et que vous voyez l’importance accordée aux études, bah c’est curieux. Chez par exemple les Asiatiques l’importance accordée aux études est très importante, les enfants réussissent mieux que les natifs. En revanche, dans les pays du Maghreb, on estime que l’école, l’éducation tout ça, c’est une perte de temps. Résultat : les enfant maghrébins et les enfants turcs sont souvent parmi ceux qui échouent le plus à l’école, et c’est lié aussi à un investissement des familles. » Tout de même.

Une sortie qui nous a immanquablement fait penser à un article de l’universitaire Vincent Geisser (2) à propos du phénomène de « mise en concurrence symbolique » des personnes racisées, dans lequel il écrivait notamment ce qui suit : « [On relève] une tendance récurrente chez les leaders d’opinion français (politiques, médias, essayistes, etc.) à jouer très largement sur le registre de la concurrence symbolique entre les descendants de l’immigration, valorisant les uns pour mieux stigmatiser les autres. Ainsi, la rhétorique positive sur les Asiatiques de France, célébrant leur capacité à s’intégrer socialement, à réussir économiquement et à s’acculturer facilement aux valeurs laïques et républicaines, constitue une manière détournée de dénoncer le "communautarisme négatif" des populations arabo-musulmanes ». Soit une description et une analyse quasi chirurgicales de vos propos, rédigées deux ans avant que vous les teniez, ces derniers confirmant le constat de Vincent Geisser selon lequel « la mise en concurrence symbolique des "communautés" asiatiques et arabo-musulmanes de France est devenue un thème central des discours politiques et médiatiques dans un contexte général d’identitarisation du débat public ».

Le concept d’« identitarisation du débat public » vous sied à merveille, chère Céline Pina, et votre trajectoire personnelle ne manque pas d’en rappeler quelques autres, qui ont pour la plupart abouti à l’obtention de ronds de serviette sur les plateaux des médias de Vincent Bolloré, autrement dit une forme de consécration. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Grenoble, vous avez fait vos armes au sein du Parti socialiste, ce qui vous a permis de travailler au sein de diverses collectivités territoriales avant de devenir assistante parlementaire, tout en étant dans le même temps élue (adjointe au maire de Jouy-le-Moutier à partir de 2008, conseillère régionale d’Ile-de-France de 2010 à 2015, suppléante du député socialiste Dominique Lefebvre de 2012 à 2017), membre des instances du PS et, pour l’anecdote (?), soutien à la candidature du Dominique Strauss-Khan pour la présidentielle de 2012.

C’est en septembre 2015 que vous avez quitté le Parti socialiste au nom de la « défense de la laïcité », une rupture que vous avez bruyamment mise en scène dans les colonnes du Figaro avec, en l’espace d’une semaine, une interview suivie d’une autre interview, et qui vous a valu d’accéder à une certaine notoriété par l’intermédiaire des médias — et ils étaient nombreux — alors ravis de donner la parole à une ex-élue PS dénonçant les « compromissions de la gauche avec l’islamisme ». Une recherche sur la base de données Europresse, qui regroupe l’essentiel des titres de la presse francophone, fait ainsi apparaître votre nom à 43 reprises entre le 1er septembre et le 31 décembre 2015, soit à peu près autant de fois qu’entre le 1er janvier 2008 et le 31 août 2015 (45), puis c’est l’emballement : 137 fois en 2016, 204 fois en 2017, (…) 955 fois en 2024 et 1613 fois en 2025, soit plus de quatre fois par jour en moyenne tout de même (3).

En février-mars 2016, vous avez participé — sans surprise — au lancement du Printemps républicain, au côté d’un certain nombre de personnalités souvent issues du Parti socialiste et désireuses de construire un mouvement revendiquant la défense d’une laïcité « remise en cause de toutes parts, manipulée à des fins politiques par certains, attaquée à des fins religieuses par d’autres, ignorée de beaucoup par indifférence ». Mais vous vous êtes rapidement distinguée en annonçant votre rupture avec le Printemps républicain à peine 10 jours après sa fondation, au moyen d’un communiqué co-signé avec Fatiha Agag-Boudjahlat, alors secrétaire nationale du Mouvement républicain et citoyen (MRC), affirmant que la structure nouvellement créée n’avait pas, contrairement à vous, « [fait] le choix d’assumer une position ferme et clivante dans la défense de la laïcité », tout un programme.

C’est alors que vous avez toutes les deux fondé votre propre mouvement, « Viv(r)e la République », une sorte de Printemps républicain radical donc, qui affirme entre autres défendre « une France accueillante avec ceux qui partagent ses idéaux mais une République exigeante et claire vis-à-vis de ceux qui veulent l’abattre », suivez mon regard. La suite ? Rien de très original : publication d’un essai au titre choc (Silence coupable, avril 2016), tribunes dans le FigaroVox (plus d’une centaine à ce jours), chroniques dans Causeur (271 à ce jour), participation au lancement de Front populaire, la revue de l’indispensable Michel Onfray et apparitions de plus en plus fréquentes dans les médias audiovisuels, notamment les chaînes d’information, jusqu’à être titularisée dans la Dream Team de Vincent Bolloré, quel talent.

À l’instar de votre ancien petit camarade du PS et du Printemps républicain Amine El Khatmi, vous avez su vous approprier sans trop de difficultés l’ensemble des autres obsessions de CNews/Europe 1, qu’il s’agisse de dénoncer « le gauchisme, ce truc qui ne tiendrait même pas 5 minutes au comptoir d’un bar-PMU, même le soir de la sortie du Beaujolais nouveau », de prétendre « qu’il y a des quartiers qu’il faut détruire [car] quand un territoire est à ce point-là malade, vous n’avez pas vraiment le choix » ou de prendre la défense de Nicolas Sarkozy suite à sa condamnation dans l’affaire libyenne en expliquant « [qu’]on oublie à quel point, lorsque l’on est un chef d’État, on doit entretenir des relations avec des sales types », tout va bien alors. Sans oublier de répandre moult fake news, comme vous l’avez par exemple fait, à l’antenne de Sud Radio, lors de la polémique sur la prétendue sous-notation d’élèves juifs au bac 2024, et sans manquer, bien sûr, d’être un peu corporate, merci patron, en déclarant, lors du lancement du JDD-Bolloré en août 2023, que « [le JDD] est un journal comme tous les autres », ou en montant au créneau pour défendre CNews face aux critiques, jusqu’à proclamer que « s’il arrive quoi que ce soit à un journaliste de CNews, à un éditorialiste ou à un intervenant, tous ces gens [ceux qui accusent CNews d’être d’extrême droite] auront le sang de celui qui aura été blessé sur les mains », décidément vous avez le sens de la nuance, c’est même à ça qu’on vous reconnaît.

Au total, votre parcours a donc toutes les caractéristiques d’un processus de radicalisation favorisé par la quête de notoriété, au point que, même si vous aimez répéter que vous êtes restée la même tandis que la gauche aurait « trahi », comme lorsque vous affirmez que « pour [vous] être de gauche aujourd’hui c’est ne plus pouvoir voter à gauche car celle-ci a trahi son devoir d’humanité », vous ne semblez même pas vous rendre compte de la vitesse à laquelle vous avez couru pour rejoindre les rangs de l’extrême droite. Jusqu’à l’absurde, qui a souvent l’avantage d’être éloquent : alors que figure sur le site de votre association « Viv(r)e la République » la déclaration d’intention selon laquelle « nous affrontons deux dangers aussi mortifères l’un que l’autre pour ce que nous sommes : le danger islamiste […] et celui de l’extrême droite, cette dernière étant aujourd’hui aux portes du pouvoir », cette même association a reçu l’an dernier des financements de Pierre-Édouard Stérin dans le cadre de son projet « Périclès » destiné à… porter l’extrême droite au pouvoir, vous ne voyez peut-être pas le problème mais croyez-nous il y en a un.

Chère Céline Pina, lors de la récente élection de Zohran Mamdani, vous avez jugé bon de publier sur votre compte X un ignoble montage faisant figurer le nouveau maire de New York à côté d’une photo des attentats du 11 septembre 2001, que vous avez agrémenté du commentaire suivant : « New York s’est donnée à un islamiste. Les New Yorkais en payeront le prix et personne ne les plaindra ». Votre fuite en avant vers le pire se poursuit donc, et force est de constater que, dans votre cas comme dans celui de bien d’autres de vos semblables, la guerre génocidaire à Gaza aura joué un rôle d’accélérateur, jusqu’à vous conduire à déclarer en juin dernier, lors des bombardements israéliens sur l’Iran : « Tout d’un coup [les Français] voient ce que c’est que de vrais politiques, alors on pense ce qu’on veut de Netanyahou qui est très critiquable par ailleurs, mais qui dans cette séquence-là joue réellement un rôle politique et un rôle de dirigeant, ce que nous n’avons plus chez nous aujourd’hui, et on peut être envieux de cette nation ». Très franchement si l’État d’Israël n’était pas fondé sur la spoliation des Palestiniens on vous dirait bien qu’on ne vous retient pas.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) La « loi de Godwin », telle qu’elle fut formulée, au début des années 1990, par l’avocat étatsunien Charles Godwin à partir de son observation de conversations en ligne, s’énonce comme suit : « Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les Nazis ou Hitler s’approche de un. » La notion de « point Godwin » s’est ensuite diffusée chez les internautes francophones, indépendamment de Charles Godwin lui-même, pour désigner le moment d’une conversation où sont mobilisées, afin de délégitimer l’interlocuteur, les comparaisons avec Hitler et les Nazis.

(2) Vincent Geisser. « "Modèle asiatique" d’intégration versus « contre-modèle arabo-musulman ». Mise en concurrence symbolique et circulation des stéréotypes », dans Khatharya Um et Hélène Le Bail (dir.), Générations post-réfugiées. Les descendants de réfugiés d’Asie du Sud-Est en France, Presses universitaires François Rabelais, 2023, pp. 225-252.

(3) Les mentions dans le cadre d’une recherche Europresse peuvent susciter des doublons (version web et version papier d’un même article, reprises multiples d’une dépêche AFP, etc.) et ne disent rien des conditions dans lesquelles un nom est cité. Mais l’évolution du total « brut » du nombre de mentions donne une idée de l’évolution de la notoriété médiatique d’un individu.

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