Chère Juliette Briens,

Quelle semaine !

Mardi 9 septembre, on apprenait que vous auriez été suspendue de l’antenne de RMC, sur laquelle vous officiez régulièrement comme chroniqueuse de l’émission « Estelle midi », en raison de la publication, le 6 septembre, d’un post sur X dans lequel vous avez estimé pertinent d’écrire, en proposant ce que l’on imagine être une misérable « imitation » d’un « accent arabe », ce qui suit : « Mi madame la jouge ji rien fé wallah je bouvais jouste café dans le 7ème et li journalistes y criaient dans mes oureilles ! », qu’est-ce qu’on rigole. Un post qui n’est pas passé inaperçu et que vous avez effacé depuis sans toutefois présenter ni regret ni excuse, allant même jusqu’à juger bon de répondre, à l’un de vos followers qui regrettait cette suppression et expliquait que « ce tweet était un chef-d’œuvre », à chacun ses ravissements artistiques, par un simple « Je sais… », au moins les choses sont claires.

Précisons, pour celles et ceux qui n’auraient pas eu vent de cette prouesse, que vous avez publié le chef-d’œuvre en question pour illustrer une photo de Patrick Cohen ornée d’une déclaration dans laquelle il affirme « [qu’]une plainte va être déposée » dans l’affaire qui l’oppose, au côté de Thomas Legrand, au magazine d’extrême droite l’Incorrect, suite à la publication, le 5 septembre, d’extraits vidéo d’une conversation fort peu journalistique qu’ils ont eue cet été avec deux responsables du Parti socialiste. Et précisons en outre, pour celles et ceux qui n’auraient pas l’heur de vous connaître, que vous travaillez justement pour l’Incorrect et que vous êtes apparue en première ligne suite à la publication desdits extraits vidéo, jusqu’à être présentée, sur la toujours très informée chaîne CNews, comme « la journaliste [sic] s’étant procuré la vidéo polémique de Patrick Cohen et Thomas Legrand », félicitations.

Est-ce dans l’enthousiasme du buzz politico-médiatique suscité par vos « révélations » que vous vous êtes lâchée sur X en mettant en ligne cet abject message ? Nous ne le savons pas, mais nous savons en revanche que la façon dont vous vous êtes justifiée ne manque pas de piquant et confirme ce que tout un chacun avait pu comprendre dès le début : votre post était raciste. Face à la polémique suscitée par votre publication, certains faisant notamment remarquer que, dans la mesure où Patrick Cohen a, du côté de son père marocain, des origines séfarades, votre « imitation » pouvait avoir un caractère antisémite, vous avez en effet jugé bon de donner l’explication suivante, attention les yeux : « J’ai été obligée de supprimer une blague où je m’imitais avec un accent devant la juge parce que certains pensaient que j’imitais Patrick Cohen avec un accent séfarade. Quel monde. »

En d’autres termes, pour contester le caractère antisémite de votre message, vous expliquez qu’il ne s’agissait pas d’« imiter » Patrick Cohen mais de vous « imiter » vous-même en vous imaginant face à un juge dans le cadre, on le suppose, d’un procès faisant suite à la plainte concernant la publication des extraits vidéo. En d’autres termes, vous vous êtes mise dans la peau d’une prévenue convoquée au tribunal pour s’expliquer sur la provenance de la vidéo incriminant Patrick Cohen et Thomas Legrand, et vous avez jugé bon, pour ce faire, d’« imiter » un « accent arabe ». En d’autres termes, votre défense face aux accusations d’antisémitisme est d’expliquer que vous vous contentiez de faire une bonne blague reposant sur le désopilant ressort comique selon lequel les individus qui sont convoqués devant les tribunaux sont arabes, c’est vrai que c’est hilarant.

Chère Juliette Briens, nous n’avons pas spécialement envie, même si nous avons une âme charitable, de vous prodiguer des conseils, mais sachez tout de même que lorsque l’on a besoin d’expliquer une « blague », c’est qu’elle est ratée, et que lorsque l’explication consiste à dire que la « blague » ne vise pas les Juifs mais les Arabes, c’est qu’elle est raciste. Et si nous devons certes admettre que nous n’arrivons pas à nous représenter l’opération mentale par laquelle vous avez pu en arriver à la conclusion que, pour vous défendre d’avoir fait une « blague » antisémite, la meilleure stratégie était d’expliquer que la « blague » était raciste, nous comprenons en revanche d’autant mieux, au regard de cette séquence remarquablement maîtrisée, que l’Incorrect vous ait, il y a trois ans, promue au poste de « directrice de la communication », de toute évidence vous aviez les qualités requises pour le job.

Et nous avons même tendance à penser que, du côté de l’Incorrect, au vu du pedigree du journal, votre récente « blague » ne vous vaudra pas une sanction mais plutôt une prime, voire le prix de l’employée du mois. Rappelons ainsi, pour nos lecteurs et lectrices les moins versées dans la fafologie, que l’Incorrect a été lancé, en septembre 2017, par plusieurs figures de l’extrême droite réputées proches de Marion Maréchal et de sa critique de la stratégie d’isolement du FN, dans le but de contribuer à « une alliance politique, intellectuelle et culturelle [entre les] multiples maisons de la droite », ça fait rêver. Le tout avec le soutien financier de Laurent Meeschaert et Charles Beigbeder, deux sympathiques patrons qui se côtoyaient alors notamment dans le think tank l’Avant-Garde, autour de Charles Millon, ex-ministre et ex-président de la région Rhône-Alpes, partisan des accords entre droite et Front national, tout un programme.

L’Incorrect, qui bénéficie aussi des coups de pouce financiers de l’ambitieux milliardaire Pierre-Édouard Stérin, se situe donc dans une perspective d’« union des droites », autrement dit d’alliance voire de fusion entre droite extrême et extrême droite, avec une tendance marquée à considérer comme « de gauche », et donc comme l’adversaire, un spectre politique particulièrement large, ainsi que l’expliquait l’éditorial du premier numéro : « Nous appelons gauche tout ce qui croit pouvoir nous changer de monde sans notre accord. Nous appelons gauche tout ce qui a le visage d’Édouard Philippe [sic], antique ruse des puissances bourgeoises ayant décidé de faire disparaître tout ce qui gêne leur marche en avant, soit : l’éducation, la charité, l’honneur, la petite propriété, la nature et ses lois, la faiblesse, l’héritage historique, la continuité familiale, la sexuation », tout simplement. Dans le « dossier » du même numéro, on apprenait en outre, en toute logique, qu’il n’y avait pas eu de vraie droite en France « depuis au moins la Libération », tout de même, voire que « depuis la Révolution française, la droite n’a jamais, ou presque jamais, été aux affaires », voilà qui est audacieux.

En huit années d’existence et 89 numéros, l’Incorrect se sera ainsi distingué, entre autres :

- en qualifiant de « collabos de l’islamisme » Jean-Luc Mélenchon, Aurélien Taché, Virginie Despentes, Édouard Louis, Guillaume Meurice, Camélia Jordana mais aussi… Valérie Pécresse ;

- en publiant un dossier subtilement titré « Le lobby : enquête sur la terreur LGBT », dans lequel on apprenait notamment, dans l’article « Quand les pédophiles militaient dans les rangs LGBTI », que « les mouvements LGBTI furent partie prenante de la défense et de l’apologie de la pédophilie dans les années post-mai 68 » ;

- en multipliant les interviews de Renaud Camus, architecte — multicondamné — de la théorie raciste-complotiste du « Grand remplacement », au cours desquelles celui qui est présenté comme une « victime expiatoire du déni national [qui] aura tout perdu sauf l’honneur » peut déclarer, au calme, que « c’est l’antiracisme qui tue, c’est l’antiracisme qui est génocidaire, comme d’ailleurs le portait son nom : il nie les races et veut les broyer toutes » ;

- en affirmant « [que l’]on nous somme de cohabiter avec des cultures radicalement non-solubles dans notre civilisation occidentale et chrétienne, encore moins lorsqu’il s’agit du respect à l’égard des femmes » ;

- en expliquant tranquillement que le 21 janvier, jour de la mort de Louis XVI, est une date « où chacun devrait porter un brassard noir pour rappeler, ce jour-là, ce qui fût enlevé à la France : outre son Roi, sa Providence » ;

- etc.

Chère Juliette Briens, vous n’êtes certes pas l’autrice de chaque phrase publiée dans l’Incorrect, mais nous doutons que vous vous sentiez mal à l’aise au sein de la rédaction d’un magazine dans lequel, rappelons-le, vous exercez des responsabilités, et au titre duquel vous vous exprimez en outre régulièrement dans les autres médias. Vous êtes en effet devenue ces dernières années l’un des visages de ce que d’aucuns nomment « (extrême) droite hors les murs », jusqu’à être considérée par Valeurs actuelles comme « [l’]étoile montante de la droite sur les plateaux télé » et « une des influenceuses de droite les plus intraitables du PAF (1) », bravo à vous. Et vous avez pour cela suivi, si l’on peut dire, un parcours exemplaire, en commençant par poster « des mèmes humoristiques politiques de droite » sur Instagram durant les années 2020-2021, avant d’être repérée par les équipes de Cyril Hanouna, dans les émissions duquel vous êtes devenue chroniqueuse, une étape décisive dans votre médiatisation, ainsi que vous le rappeliez récemment : « Merci Cyril Hanouna, merci C8. Je n’oublie pas qui m’a donné ma chance en premier et où j’ai fait mes premières armes, surtout à l’époque où ce que je disais n’était pas du tout à la mode. C’est gravé. » Que d’émotions.

Après cette belle entrée en matière et en raison de l’écho rencontré (à l’extrême droite) par vos interventions en mode « clash-buzz », vous avez petit à petit été sollicitée par les chaînes d’information, tout d’abord CNews, qui s’en étonnera, puis BFM-TV, pour le compte de laquelle vous êtes devenue chroniqueuse en novembre 2023, rejoignant au même moment l’équipe d’« Estelle midi » sur RMC, quel talent. Sans oublier votre embauche sur la très recommandable Radio Courtoisie, station d’extrême droite tendance catholique intégriste dont l’ex-président Henry de Lesquen affirmait lutter contre la « musique nègre » et la « religion de la Shoah », dont l’actuel patron aime quant à lui organiser des petites sauteries réunissant « députés RN, complotistes, journalistes du "JDD" et chanteur néofasciste », on regrette de ne pas avoir été invité, et sur laquelle vous tenez également une chronique régulière, deux fois par semaine, depuis la fin du mois d’août 2023, quel œcuménisme.

Des interventions, agrémentées de posts sur les réseaux sociaux, qui donnent une idée de votre vision du monde et, au passage, de ce que les médias qui vous emploient jugent être des propos dignes d’intérêt (2) :

- « Le foot, malheureusement, attire toutes les racailles des banlieues » (mai 2025) ;

- « J’ai les mêmes droits que les hommes ! J’aimerais qu’on arrête le ouin ouin de bonne femme... Tous les ans, on nous ressort le soi-disant "écart salarial" ! » (mars 2025) ;

- « Ces gens n’ont que ça à la bouche : interdire ! Elle a fait quoi pour l’environnement, Marine Tondelier, comparé à un ingénieur ? Ces femmes, ce sont des stalinettes en trottinettes » (février 2025) ;

- « J’en veux aux boomers car ils ont hérité de l’apogée de la France ! Et ils nous ont légué une espèce de bordel car ils n’ont fait que voter à gauche, à faire leur Mai 68 » (juin 2025) ;

- « Un nombre croissant de contrôleurs de la RATP sont des racailles agressives qui rackettent les touristes sans défense » (juin 2025) ;

- « Les rave parties sont la symbolique parfaite de l’échec français. L’État est à genoux devant des hordes de drogués à dreadlocks, de punks à chiens... On peut prendre les organisateurs et leur faire faire deux à trois ans de prison ferme ! » (mai 2025) ;

- « [Taxer les gros héritages], c’est un impôt sur la mort, un vol ! C’est le retour des bolcheviks ! » (septembre 2025) ;

- « Le nucléaire est l’énergie la plus décarbonée du monde ! Les éoliennes ont été un moyen pour beaucoup de personnes de s’en mettre plein les poches ! Il faut se débarrasser de toutes les lubies écolos ! » (juin 2025) ;

- « Ces grèves [à la SNCF], ça peut pourrir vos vacances... Je suis totalement pour interdire les grèves à certaines périodes ! Ils sont dans la revendication donc on est obligés de réagir ! » (avril 2025) ;

- « La problématique dans ce pays est que c’est beaucoup trop facile d’obtenir un arrêt maladie... Oui, il y a un abus, on le sait très bien ! » (mars 2025) ;

- « Tous les Luna Park de France sont racaillisés. […] Tu mets le billet à 20 euros, il y aura moins de racailles ! » (avril 2025) ;

- « Qui a envie d’aller faire ses courses en centre-ville quand on est obligé de passer devant des clochards avinés et autres punks à chiens sous crack ?! [En prenant des arrêtés anti-mendicité], ces maires font leur travail et écoutent les commerçants ! » (juillet 2025) ;

- « On a tout à gagner à instaurer la sélection en fac. On n’en peut plus de payer pour ces traîne-lattes ! Voilà comment on crée des générations d’assistés. Pendant que nous, les actifs, on paie pour eux… » (mars 2025) ;

- « [L’interruption du chantier de l’A69] est une soumission aux zadistes, aux écolos d’extrême gauche qui viennent de toute l’Europe pour faire chier le monde » (avril 2025) ;

- Et enfin, preuve que vous adorez décidément pratiquer « l’humour » d’extrême droite : « Énorme embrouille de Noël avec mon père raciste qui soutient la mesure de remigration anglaise vers le Rwanda alors que la République centrafricaine était toute choisie. Marre de ce facho » (décembre 2024).

Une sélection loin d’être exhaustive, chère Juliette Briens, tout en donnant à voir non seulement ce qui vous tient lieu de pensée mais aussi la façon particulièrement subtile dont vous l’exposez sur les plateaux des médias qui estiment utile de vous offrir un micro — et de vous rémunérer pour cela. En juin dernier, vous nous proposiez même un « résumé » de vos journées médiatiques, qui confirme, pour celles et ceux qui en douteraient, que nous ne nous adonnons pas à la caricature : « Résumons ma journée. Il faut supprimer les tickets restaurants, baisser les charges et rendre aux actifs le fruit de leur travail. Il faut construire d’énormes centrales nucléaires et climatiser toute la France. Il faut rendre le pouvoir au peuple et supprimer toutes les institutions qui les en privent. Il faut barricader les frontières, renvoyer tous les étrangers irréguliers chez eux et choisir nos travailleurs immigrés à la pince à épiler. Il faut supprimer les APL, protéger les propriétaires des squatteurs et des mauvais payeurs et libérer le marché de l’immobilier. » Amen.

Un bien beau programme en somme, que vous n’hésitez pas à défendre en versant, comme on a pu le voir, dans la provocation voire l’outrance, quand vous ne sombrez pas tout simplement dans l’abjection comme lorsque vous avez volé au secours de Pascal Praud après que ce dernier eut fait scandale en établissant un lien entre immigration et punaises de lits. Vous avez alors cru bon d’expliquer que le lien en question était incontestable et qu’il n’y avait que « la gauche » pour croire que « les punaises de lits sont en fait encore un coup de l’extrême droite qui les implantées sur des migrants afin d’organiser le racisme systématique en France et accéder au pouvoir », qu’est-ce qu’on se marre, et qu’en outre les immigrés étaient responsables du développement et même du retour de nombreuses maladies, pourquoi s’arrêter en si bon chemin. Quitte à proférer des âneries puisque, après avoir désigné comme un tournant « l’année 2015, début de la vraie crise migratoire, de la crise des migrants en Europe », vous avez prétendu que « le nombre de cas déclarés de tuberculose a bondi de 8% entre, ah, 2015, c’est marrant, et 2017 » alors que « la tuberculose, la maladie du pauvre, [était] complètement éradiquée de notre pays, et de tout l’Occident d’ailleurs », CQFD.

Ou pas. Car, comme souvent lorsque l’extrême droite profère ses immondices au sujet des immigrés-responsables-de-tous-les-maux, vous avez raconté absolument n’importe quoi, ainsi que tout un chacun peut le vérifier en consultant les chiffres de Santé publique France, qui nous apprennent par exemple que la tuberculose en France, dont le nombre de cas a certes connu, entre 2015 et 2017, une légère augmentation (+5,6%), passant de 4741 à 5005, n’avait certainement — et malheureusement — pas été « complètement éradiquée » auparavant, avec 6714 cas en 2000, 5368 cas en 2005 et 5187 cas en 2010 — soit davantage qu’en 2017. Des chiffres et des études qui montrent en outre que si les populations migrantes peuvent être surreprésentées parmi les cas déclarés de certaines maladies, c’est avant tout en raison de « risques de surexposition à des conditions de vie et de travail délétères pour la santé […] aggravés dans les périodes de situations administratives précaires », auxquelles s’ajoute un accès plus difficile aux soins et aux structures de santé. En d’autres termes, ce qui rend vulnérable c’est en premier lieu la misère et la précarité, et non les origines, et l’on doit dire qu’il est pour le moins déconcertant de devoir rappeler de telles évidences et de constater qu’en 2025 des individus qui stigmatisent les « étrangers » en prétendant qu’ils sont vecteurs de maladies peuvent avoir pignon sur rue dans des médias généralistes qui prétendent faire de « l’info sérieuse ».

Sans surprise, serait-on tenté de dire, vous avez par ailleurs su depuis deux ans donner toute la mesure de votre obscène mépris à l’égard de certaines vies humaines en multipliant les outrances au sujet des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza, pour qui vous n’avez jamais eu un mot si ce n’est pour dénoncer les « vidéos de faux enfants morts » circulant sur les réseaux sociaux, allant même jusqu’à rendre responsable La France insoumise de votre absence d’empathie pour les Gazaouis : « LFI m’a rendue physiquement incapable de m’intéresser au sort de Gaza ». Ce qui est faire beaucoup d’honneur aux Insoumis, et surtout faire preuve de beaucoup d’hypocrisie, ainsi que vous le reconnaissez vous-même puisque vous affirmez dans le même temps, au sujet du 7 octobre 2023, ce qui suit : « J’ai vu des gens qui me ressemblent physiquement et mentalement se faire massacrer par des islamistes ». Après avoir, le 8 octobre 2023, posé la question suivante : « Préférez-vous vivre avec les Juifs d’Israël ou les musulmans de Gaza ? Mon choix est fait depuis longtemps », on l’avait bien compris, sûrement une question d’accent.

Tout à votre racisme décomplexé, vous êtes ainsi capable de reconnaître voire de revendiquer votre absence totale d’empathie à l’égard de celles et ceux qui ne vous ressemblent pas et avec qui vous affirmez « ne rien partager », comme lorsque vous avez jugé bon de rédiger plusieurs posts sur X, fin décembre 2024, alors que l’actualité était entre autres marquée par le cyclone Chido à Mayotte et par une attaque à la voiture-bélier sur un marché de Magdebourg en Allemagne, pour expliquer ce qui suit : « À mes yeux, et à mon avis aux yeux de la majorité des Français, pardon hein, mais Mayotte, c’est pas l’équivalent de la Dordogne. C’est juste l’autre bout du monde. C’est un peuple à part avec qui on ne partage rien à part la colère. […] On a naturellement plus d’empathie directe avec des Allemands écrabouillés au marché de Noël qu’avec des Mahorais désastrés par cet affreux cyclone. Le dire peut paraître un peu cruel et brut. Mais cela en devient-il moins vrai ? Malheureusement pas du tout. […] Il est impossible d’imposer à des êtres une empathie sincère pour ceux dont ils ne partagent rien » (3), c’est bien noté.

Soulignons toutefois, pour être parfaitement honnête, que vous êtes capable d’exprimer de la sympathie à l’égard de personnes qui ne vous ressemblent pas ou, pour vous citer, avec lesquelles vous clamez, haut et fort, « ne rien partager ». C’est ainsi par exemple qu’en mai 2024 vous avez salué, au cours de l’une de vos chroniques sur Radio Courtoisie, le joueur de football malien Mohamed Camara, qui évoluait alors en Ligue 1 à l’AS Monaco, après qu’il eut décidé de dissimuler durant tout un match, avec du scotch, un logo contre l’homophobie floqué sur son maillot, un geste sanctionné par la Ligue de football professionnel qui pilotait cette campagne anti-discriminations. Dans une chronique sobrement titrée « Un footballeur refuse de tomber dans le piège hypocrite des progressistes », si vous le dites, vous avez ainsi expliqué « [qu’]il a simplement refusé de porter une lutte qu’il n’avait pas choisie et qu’on lui a imposée en lui tendant une sorte de guet-apens de la pensée [sic] », voilà qui méritait bien, pour une fois, votre soutien.

Au total, chère Juliette Briens, tout le monde comprend bien que votre activité médiatique n’a absolument rien à voir avec le journalisme mais consiste principalement en l’éructation d’opinions racistes et ultra-réactionnaires, dans une posture de prétendue défense des classes populaires (blanches) qui vous conduit à assurer que « la gauche hait le peuple », contrairement à vous bien sûr, qui refusez la taxation des gros héritages, qui prétendez que les riches paient trop d’impôts, qui affirmez que « les aides sociales, ce sont des drogues », qui justifiez les généreuses rémunérations des patrons du CAC 40 ou qui proposez de limiter à deux ans la durée du RSA. Il est vrai que lorsque l’on travaille pour un journal dont le directeur de la rédaction Arthur de Watrigant a succédé à Jacques de Guillebon, et qui compte parmi ses plumes Athanase de Magneval, Philomène de Watrigant, Wandrille de Guerpel et Romée de Saint-Céran, on se trouve sans aucun doute quotidiennement au contact du « peuple », de ses difficultés et de ses revendications.

Tout ceci ne vous a pas empêchée, ces quinze derniers jours, de vous poser, avec vos collègues de l’Incorrect, en donneuse de leçons concernant la déontologie journalistique et les collusions entre pouvoir médiatique et pouvoir politique. Ce qui ne manque pas de sel lorsque l’on sait que l’actionnaire principal de l’Incorrect, Laurent Meeschaert, a été candidat pour Reconquête lors des législatives de 2022 avant d’être promu « conseiller culture » d’Éric Zemmour un an plus tard, ce qui a fait de lui « l’un des rares patrons de presse — voire le seul — à figurer sur l’organigramme d’un parti politique », ou encore que le magazine a eu comme « rédacteur en chef des pages société » un certain Gabriel Robin, qui était dans le même temps collaborateur du maire RN de Perpignan Louis Aliot et qui a poussé la conscience professionnelle jusqu’à interviewer lui-même son employeur avant de publier l’entretien dans l’Incorrect, c’est vrai que c’est plus simple comme ça. Le tout en ne rechignant pas à faire financer le magazine par de l’argent public, duquel vous n’avez par ailleurs de cesse de critiquer le gaspillage, au moyen d’un astucieux système de défiscalisation via un fonds de dotation dans les comptes sociaux duquel on apprend que vous avez perçu, en 2024, plus de 77 000 euros de dons qui auront valu aux généreux donateurs une ristourne de 66% sur leurs impôts, bien vu mais ça s’est vu.

Loin de nous l’idée de prendre ici la défense de Thomas Legrand, Patrick Cohen et de tous ceux qui leur ont apporté un soutien inconditionnel, tant les pratiques qui ont été mises en lumière dans la vidéo publiée début septembre, si elles ne sont malheureusement pas un scoop, sont problématiques, ainsi que l’a par exemple souligné l’observatoire des médias Acrimed dans une analyse que nous partageons en tout point, entre autres : « Le journalisme politique tel qu’il est pratiqué est un problème. Pour y remédier, la profession pourrait faire preuve d’autocritique et envisager des solutions. L’une d’entre elles consisterait à repenser le métier de fond en comble : du reportage et de l’enquête plutôt que du commentaire, de la transparence plutôt que du off, du fond plutôt que des sondages et de la comm’. Du journalisme plutôt que de l’éditorialisme, en somme ». Mais critiquer ces pratiques, a fortiori lorsqu’elles sont le fait de journalistes officiant sur l'audiovisuel public, ne signifie nullement mêler nos voix à ceux dont l’objectif n’est nullement la défense du pluralisme mais la fin du service public de l’information, ainsi que le résumait récemment Marion Maréchal : « Je défends la privatisation de l’audiovisuel public qui nous coûte quatre milliards d’euros par an pour de la propagande militante ».

Chère Juliette Briens, contrairement à votre racisme, particulièrement bien ancré et dont votre dernière « blague » n’était qu’une nouvelle illustration, votre légitimité dans les médias ne repose, en définitive, sur à peu près rien, sinon sur vos fonctions dans un douteux périodique d’extrême droite et, surtout, sur les logiques inhérentes au capital médiatique qui, à l’instar du capital économique, obéit à la règle d’or selon laquelle plus on en a, plus on en gagne, et plus on en gagne, plus on en a. Pas de quoi se prendre pour une journaliste en somme, y compris après « l’affaire » Legrand-Cohen qui, de votre propre aveu, n’a rien à voir avec un quelconque travail d’enquête mais est « un pur coup de chance », merci pour votre émouvante sincérité mais dans ce cas évitez, à l’avenir, de vous comparer à Élise Lucet et à Mediapart : le ridicule ne tue certes pas mais, méfiance, il a tendance à rendre ridicule. Quant aux médias « généralistes » qui ont jugé pertinent de s’adjoindre vos services, tels ceux du groupe BFM/RMC desquels votre supposée « suspension », si elle a jamais existé (4), n’aura guère duré puisque vous étiez de nouveau à l’antenne ce vendredi (5), soit 10 jours après votre dernière intervention, à eux de décider s’ils continuent de promouvoir votre abyssale et néfaste médiocrité, et, le cas échéant, d’assumer qu’ils le font en pleine connaissance de cause et, partant, toute honte bue.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Paysage audiovisuel français.

(2) Les citations que nous reprenons ici sont extraites des posts X des chaînes d’information. Elles ne sont pas toujours une transcription littérale de vos propos, mais elles y sont fidèles : on a — malheureusement — tout vérifié.

(3) « Pour ceux dont ils ne partagent rien » : nous nous abstiendrons, par charité, de tout commentaire sur votre français approximatif, nous contentant de renvoyer à la note 5.

(4) Il faut dire que RMC a su faire montre par le passé d’une grande capacité à réintégrer des chroniqueurs « suspendus », à l’instar de l’indispensable Barbara Lefebvre.

(5) Un « retour » à l’occasion duquel vous avez entre autres déclaré, au sujet des mobilisations du 18 septembre, ce qui suit : « J'ai vu des lycéens bloquer leur établissement... Tu leur donnes la parole et ils sont là avec leur air ahuri et leur buzz cut insupportable ! Ils n'arrivent même pas à faire une phrase de français ! ». Un avis, chacun l’avouera, précieux et indispensable.

Chère Juliette Briens - Boxing Day #48

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