Cher Philippe de Villiers,

Quelle semaine !

Dimanche 7 septembre, c’est-à-dire à la veille de la censure du gouvernement Bayrou et trois jours avant la mobilisation « Bloquons tout », vous annonciez, dans une interview à la « Une » du JDD-Bolloré, le lancement d’une pétition pour la tenue d’un « référendum sur l’immigration », autrement dit une parfaite illustration de la propension de l’extrême droite à proposer la chasse aux étrangers comme seule « réponse » à la crise politique et sociale. Au cours de l’entretien, vous êtes même allé jusqu’à dresser un parallèle entre votre initiative et la pétition contre la loi Duplomb : « Cette mobilisation visait à sauver les abeilles, les insectes, les oiseaux, à ne plus empoisonner les hommes, les sols et les animaux. Ce n’était pas rien. Moi, je propose la même chose, mais pour sauver les Français », autrement dit une analogie entre, d’une part, l’immigration et, d’autre part, de dangereux pesticides, voilà qui a le mérite d’être clair — et ignoble.

Pour défendre votre initiative, vous expliquez notamment, un brin dramatique, mais c’est une habitude chez vous, que « l’enjeu, c’est la survie de la France », rien que ça, et que le référendum est « [l’unique] voie pour résoudre le problème majeur de la France – l’immigration, qui nous submerge, bouleverse le peuplement et transforme notre civilisation », si vous le dites. Et de résumer, toujours dans la nuance, la situation française : « Nous n’avons plus, sur notre sol, un peuple et ses ancrages, mais un peuple "résident", […] un grouillement informe de deux sortes de voisins de hasard : ceux qui sont là mais ne savent pas d’où ils viennent, et ceux qui savent d’où ils viennent mais qui ne savent pas où ils arrivent ». Avant d’illustrer votre propos : « Les ministres […] parlent de la "mexicanisation" du pays. Mais quand les couteaux jaillissent de partout, il faudrait aussi parler de la tropicalisation de la France », voilà qui est très subtil.

À l’appui de votre « thèse », vous vous référez notamment à deux récents « événements révélateurs », à savoir les violences qui se sont déroulées le 31 mai, suite à la victoire du PSG en Ligue des champions, et le 21 juin, lors de la Fête de la musique, à propos desquelles vous avez une analyse bien à vous, attention les yeux : « La Fête de la musique fut la réplique, au sens sismique, de la finale de la Ligue des champions. À un mois d’intervalle, deux ébranlements inouïs. L’éruption des hordes. […] Deux images résument ces soirées. D’abord, une manifestation inédite de tribalisme, de conquête en plein Paris. Ensuite, ce qu’on a appelé le djihad de la seringue (1). En réalité, c’est toute une France ubérisée, qui se créolise, qui devient le territoire du Barbaricum ». Une « barbarie » face à laquelle vous défendez « la France de la tradition, des racines, la France qui veut rester la France, la France des bistrots, la France des beautés secrètes, la France tricolore, celle qui honore ses anciens, qui pense que ce ne sont pas les vivants qui gouvernent les morts, mais les morts qui gouvernent les vivants », amen, signez ma pétition.

Cher Philippe de Villiers, nos lecteurs et lectrices se demanderont peut-être pourquoi nous prenons la peine de vous consacrer cette missive alors que vous êtes, comme le montrent les quelques citations rapportées ci-dessus, une caricature achevée de l’extrême droite la plus abjecte et, à bien des égards, une caricature de vous-même, dans la posture de l’aristocrate qui prophétise la fin de la civilisation en contemplant avec une nostalgie revancharde les ruines fumantes de l’Occident chrétien depuis son manoir vendéen. Et il est vrai que l’on pourrait se demander à quoi bon perdre du temps avec celui qui affirme entre autres que « nous sommes en train de vivre un chassé-croisé qui troque notre Histoire contre une histoire halal », que « l'islamisation de la France s’étend au rythme inexorable de la marée qui monte au Mont-Saint-Michel » ou « [qu’]au point de jonction d'un peuple dessouché et d'un peuple transplanté, il est urgent d'offrir la francisation des rêves, de l'art de vivre et de la langue », en voilà un projet qu’il est enthousiasmant.

Le problème est que vos élucubrations ne sont pas réservées à quelques invités auxquels vous les conteriez, le soir au coin du feu, après avoir ripaillé à plein ventre, dans la grande salle du château, au cours d’un dîner riche en gibier et rythmé par les animations des trouvères, jongleurs et autres ménestrels. Vous êtes en effet devenu ces dernières années « un aristo plus si has been », qui vend ses livres à des dizaines de milliers d’exemplaires, qui réalise des cartons d’audience sur CNews/Europe 1 avec jusqu’à un million de téléspectateurs pour l’émission « Face à Philippe de Villiers », qui se voit désigné par des auditeurs d’Europe 1 comme « le seul à pouvoir sauver le pays » et qui se retrouve régulièrement à la « Une » des journaux Bolloré, le JDD et le JDNews, mais aussi d’autres titres d’extrême droite, à l’image de Valeurs actuelles qui vous a décerné cet été le titre fort convoité d’« homme de l’année », félicitations.

Et vous essaimez au-delà de la seule extrême droite puisqu’en février c’est le Figaro magazine, propriété du groupe Dassault, qui vous consacrait un long portrait, dont le titre évoque « le phénomène Philippe de Villiers, ce vicomte qui parle au peuple », tout simplement, et dans lequel les journalistes subjugués vous qualifient « [d’]irrésistible conteur de lui-même et pas seulement de la France » et écrivent entre autres, sans guillemets, « [qu’]hier Villiers se battait contre une histoire de France trop longtemps racontée par les amis de la Révolution, [qu’]aujourd’hui le présentisme règne et [qu’]une bonne dose de je-m’en-foutisme a renvoyé la France en note de bas de page », que « très longtemps avant que la France se peuple de Français d’origine musulmane prompts à se plaindre de leur sort, elle avait en son sein des provinces qui s’estimaient incomprises et méprisées » ou que « la chanson douce de la France des clochers, des claires-voies, des haies, des métiers de père en fils, des voisinages d’entraides, des morts qu’on enterre, auxquels on rend un culte, tout cela a été englouti dans le brouhaha des villes noctambules qui s’abreuvent des séries Netflix », no comment.

Cher vicomte Philippe Marie Jean Joseph Le Jolis de Villiers de Saintignon, puisque tel est votre véritable patronyme, ça en jette mais c’est vrai que c’est un peu long, le moins que l’on puisse dire est que vous revenez de loin, et nous ne parlons pas ici de voyage temporel même si l’on doit admettre que l’on se demande parfois, en vous écoutant, depuis quelle époque vous avez été téléporté au XXIe siècle. Vous revenez de loin dans la mesure où, dans les années qui ont suivi votre campagne présidentielle ratée de 2007 (2,23%), vous vous étiez progressivement mis en retrait de la vie politique après une carrière de plus de 20 ans au cours de laquelle vous aviez été secrétaire d’État, député, député européen et président du conseil général de Vendée. En 2014, vous déclariez même, au Figaro, ce qui suit : « J'ai accompli ma mission, j'ai tourné la page et puis je m'occupe du Puy du Fou. C'est beaucoup plus intéressant que la politique qui est devenue un cloaque », c’est bien noté.

Une retraite au Puy du Fou donc, ce parc de loisirs célébrant la Vendée, ses valeurs, ses traditions et sa « résistance », à travers les siècles, pour les préserver face aux ennemis venus du dehors, qu’ils soient romains, vikings, anglais ou républicains ; un parc dont vous êtes le fondateur, qui propose des spectacles « historiques » dont vous êtes l’auteur, et qui est présidé depuis 2004 par votre fils Nicolas, c’est vrai que c’est plus simple comme ça. Un Puy du Fou dont le succès (2,8 millions de visiteurs en 2024) a attiré l’attention d’historiennes et d’historiens qui n’ont pas manqué de relever un certain nombre de biais idéologiques dans les spectacles proposés, à l’instar des auteurs et autrices de l’ouvrage le Puy du Faux, qui expliquent notamment que « chaque spectacle reprend la mélodie ronronnante du combat manichéen entre une communauté toujours-déjà-paysanne-très-chrétienne et des agresseurs venus de l’extérieur », que « les révolutionnaires [français] sont présentés comme le sont, dans les autres spectacles, les Romains ou les Vikings, c’est-à-dire comme des ennemis sanguinaires venus de l'extérieur pour mieux dévaster la pure et très catholique Vendée » et que « c'est justement dans ces échos que le Puy du Fou est le plus pernicieux », voilà qui est étonnant.

Le Puy du Fou est devenu, au cours des décennies, non seulement un symbole de la « bataille culturelle » revendiquée par l’extrême droite, mais aussi une véritable petite industrie, qui dégage un chiffre d’affaires annuel désormais supérieur à 150 millions d’euros, qui emploie près de 400 salariés permanents et plus de 2000 saisonniers, ainsi que de nombreux bénévoles dans des conditions pour les moins douteuses, et dont les activités ne se limitent pas, loin de là, aux célèbres représentations en son et lumière. Moins connue que ces dernières, la « Puy du Fou Académie » est ainsi un établissement scolaire hors contrat, qui se présente comme « une école innovante et unique, située en Vendée, qui met la transmission des savoirs, l’art et le sens du beau au service de la croissance et de la formation de ses élèves » accueillant 450 élèves, répartis au sein de huit classes de la maternelle au CM2, huit classes de collège et six classes de lycée. Une « académie » dont la direction a été confiée, en 2022, à François Roucher, auparavant « censeur-directeur » (sic) au sein du célèbre collège Stanislas à Paris, le monde est petit, et au sein de laquelle, entre autres plaisantes animations, les élèves se retrouvent le 11 Novembre, en uniforme, pour entonner des chants patriotiques du type les Larmes d’ivoire, « qui honore le sacrifice militaire à travers le regard d’un enfant ayant perdu son père », sympa.

Très préoccupé par la jeunesse (3), vous avez aussi récemment lancé une maison d’édition baptisée « Puy du Fou Éditions », quelle inventivité, dont la première publication est le Panache, qui se propose d'être « un magazine destiné à faire connaître et aimer la France aux enfants de 8 à 13 ans, [qui] offre un contenu varié de grande qualité pour susciter l’émerveillement, développer l’imagination et transmettre les richesses du patrimoine français », décidément. Et comme le monde est vraiment tout petit, on retrouve à la tête desdites éditions un certain Bastien Lejeune, ex de Valeurs actuelles et, incidemment, frère de Geoffroy Lejeune, lequel n’est autre que l’ex rédacteur en chef de Valeurs actuelles, l’actuel directeur de la rédaction du JDD-Bolloré et, last but not least, votre compère sur CNews/Europe 1 puisqu’il co-anime, chaque semaine, « Face à Philippe de Villiers », quel talent. Notons au passage que le Panache a été salué comme il se doit par le très recommandable site Boulevard Voltaire : « Le vent tourne enfin ! Tandis que nos enfants devaient, jusque-là, subir le wokisme débridé dans la littérature jeunesse qui n’hésitait pas à leur déconstruire le cerveau […], ils auront désormais la possibilité de se nourrir autrement, de s’instruire et de rêver avec ce nouveau magazine mensuel », un bien bel hommage.

Et c’est justement au Puy du Fou, sur lequel vous vous étiez replié en jurant de demeurer éloigné du « cloaque » de la politique, qu’un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, a décidé de se rendre à l’été 2016, déambulant dans le parc, tout sourire, à vos côtés, saluant votre « formidable réussite » et vos qualités d’« entrepreneur culturel », et jugeant bon de lâcher, sous votre regard hilare, une « petite phrase » aux journalistes lui faisant remarquer qu’aucun ministre socialiste n’avait jamais visité ce lieu marqué très à droite : « L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste ». Un buzz politico-médiatique qui apparaîtra, a posteriori, comme scellant une relation faite de « rencontres régulières et de respect mutuel », avec échange de lettres, repas à l’Élysée, apparitions publiques en commun et coups de pouce du président au Puy du Fou lors de la pandémie de Covid-19. Une relation qui, quand bien même elle se serait terminée, en 2021, par une rupture, n’en a pas moins constitué une étape décisive dans votre retour en grâce médiatique, vous permettant de « retrouver le devant de la scène après de sacrés passages à vide », merci Manu.

Cher Philippe de Villiers, cette idylle avec Emmanuel Macron n’est pas la seule explication du développement de votre visibilité et de votre audience, qui a également passé un cap avec l’arrivée, en septembre 2024, du sémillant Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur lors de l’entrée en fonction du gouvernement de Michel Barnier (2). Un Bruno Retailleau que vous auriez repéré, d’après une légende vendéenne rappelée par de nombreux médias lors de sa nomination place Beauvau, alors qu’il était, âgé de 17 ans, cavalier bénévole à la Cinéscénie du Puy du Fou, ça ne s’invente pas, avant de le prendre sous votre aile et de faire de lui votre bras droit —probablement bien tendu — et votre « fils spirituel » au long des décennies 1980, 1990 et 2000, jusqu'à ce qu’il vous trahisse, pour votre plus grand courroux, afin de satisfaire ses ambitions, sans que cela vous empêche toutefois de mettre en scène, il y a un an, vos bouleversantes « retrouvailles ».

Chacun à leur façon, Emmanuel Macron et Bruno Retailleau auront donc contribué à votre retour sur la scène médiatique, accéléré par votre embauche, en septembre 2023, sur la chaîne de désinformation de Vincent Bolloré, dont l’empire médiatique est tout à votre service, qu’il s’agisse des éditions Fayard qui publient vos ouvrages, des médias audiovisuels Europe 1 et CNews sur lesquels vous avez micro ouvert ou du JDD et du JDNews qui, lorsque vous n’y écrivez pas vos chroniques hebdomadaires, vous interviewent, vous mettent en « Une » et font la promotion de vos livres, lesquels sont ensuite placés en tête de gondole dans les magasins Relay possédés par Vincent Bolloré, c’est beau l’économie circulaire (4). Très courtisé par les milliardaires d’extrême droite, vous bénéficiez également du soutien de l’ambitieux Pierre-Édouard Stérin, qui vous a par exemple aidé à produire le long métrage Vaincre ou mourir, narrant les exploits du général chouan François Charette, un film grâce auquel « les spectateurs français ont pu, en 2023, découvrir en salles le noble combat des gentils royalistes face aux méchants républicains », et dire qu’on a loupé ça.

Et c’est ainsi que vous êtes (re)devenu une figure incontournable de l’extrême droite, au point que la remarquable Sarah Knafo, co-leader, avec Éric Zemmour que vous avez soutenu lors de la présidentielle de 2022, du parti Reconquête, publie fièrement sur Instagram des vidéos de ses « retrouvailles en Vendée avec le seul et l’unique Philippe de Villiers » et affirme, à Libération, ce qui suit : « Philippe de Villiers est une personnalité intellectuelle majeure dans le pays. Depuis la mort de Patrick Buisson [en 2023], c’est lui qui occupe le rôle de figure tutélaire de la droite : il a une grande influence ». Valeurs Actuelles qui, à défaut de faire preuve d’un quelconque sens de la rigueur et de la déontologie journalistiques, est en général bien informé des mœurs de l’extrême droite, affirme d’ailleurs, à votre sujet, « [qu’]Éric Ciotti (qui en fait l'éloge dans son dernier livre), Marine Le Pen (qui a été touchée par sa venue à la messe de requiem de Jean-Marie Le Pen au Val-de-Grâce), Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, Guillaume Peltier, Sarah Knafo, Marion Maréchal et bien d'autres, le consultent comme une forme d'oracle. Ou, pour certains, ainsi que le pense le courtisé, comme leur mauvaise conscience. Au point que se soit établie une liste d'attente pour dîner avec lui le vendredi soir, seul jour de la semaine où il se trouve à Paris », on en déduit que ces gens aiment le poisson.

Cher Philippe de Villiers, permettez-nous de penser, sans vouloir vous manquer de respect, ce que nous n’oserions bien évidemment jamais faire, que votre hype au sein de la droite extrême et de l’extrême droite françaises en dit davantage sur ces dernières que sur vous-même, et que votre audience en général, que l’on parle de vos émissions sur CNews/Europe 1 ou de vos succès de librairie, en dit plus long sur les évolutions idéologiques globales que sur votre « pensée » en particulier. En d’autres termes : vous êtes un symptôme d’une époque où des idées qui étaient, par le passé, non seulement très minoritaires mais, en outre, largement réprouvées dans le débat public, sont progressivement devenues acceptables, voire légitimes, voire incontournables, jusqu’à devenir centrales dans l’agenda politique et médiatique.

Souvenons-nous ainsi, par exemple, que vous aviez été expulsé de la manifestation contre l’antisémitisme organisée à Paris le dimanche 26 février 2006, deux semaines après la mort du jeune Ilan Halimi, enlevé et torturé par l’auto-proclamé « gang des barbares », ainsi que le relatait, par exemple, le Nouvel Obs : « Philippe de Villiers est arrivé peu avant 15h en tête du rassemblement pour se joindre aux personnalités présentes. Son arrivée a été accueillie par des insultes, des sifflets et des cris. "Raciste !", "De Villiers dehors !", "Les racistes n'ont pas leur place dans cette manifestation ! ", ont notamment crié les membres du service d'ordre du défilé, qui se sont heurtés au service d'ordre du président du MPF. Après quelques minutes de bousculade, ponctuée de coups de part et d'autre, Philippe de Villiers a été expulsé de la tête du cortège, sous la protection de gendarmes mobiles ». C’était il y a moins de 20 ans…

À l’époque, vous étiez ainsi vu, à côté de l’indéboulonnable Jean-Marie Le Pen, comme le second visage de l’extrême droite en France, tendance catholique intégriste vendéenne, et comme celui qui avait pu déclarer, entre autres, ceci :

- « Par vos interruptions de grossesse, de plaisance ou de complaisance, vous avez assassiné Beethoven, Pasteur ou Charlie Chaplin » (1987) ;

- « Il faut enfin arrêter la pompe aspirante de l’immigration clandestine et illégale » (1995) ;

- « En ces temps de chômage, l’immigration constitue un facteur aggravant de délinquance et d’insécurité » (1997) ;

- « Le PaCS, c’est tout simplement le retour à la barbarie. Vous vous apprêtez à violenter notre vieille civilisation » (1998) ;

- « Avec l’avortement, la société a donné le droit aux parents d’éliminer les enfants. Avec l’euthanasie, la société donnera le droit aux enfants d’éliminer les parents ! Et la boucle sera ainsi bouclée » (2001) ;

- « Partout où ils passent, les Turcs mettent le feu au lac » (2005) ;

- « 300 000 migrants sont entrés sur le territoire français en 2004. Dans le même temps, de nouvelles frontières se sont créées à l'intérieur même de notre pays, avec 630 cités interdites à la police, 20 000 voitures brûlées par an et 30 000 familles polygames » (2005) ;

- « La troisième guerre mondiale est déclarée. C’est une guerre qui a été déclarée et déclenchée par l’islamisme radical. Et nous ne pouvons pas continuer à assister impuissants à l’islamisation progressive de la société française » (2005) ;

- Etc.

Un bien beau CV en somme, que vous avez continué de nourrir avec des déclarations et prises de position du même ordre, avec une obsession toute particulière pour l’islam, nourrie du fantasme du « grand remplacement » :

- « La nation française tente la juxtaposition, à la libanaise, de communautés autonomes qu’on renonce à fondre ensemble. Avec seulement un règlement de copropriété : le code laïc, que beaucoup rejettent, d’ailleurs. C’est aux citoyens français de s’adapter et de raser les murs, tête basse. Le temps est venu de la colonisation à rebours et de l’assimilation à l’envers » (2015) ;

- « Trois générations d’hommes politiques ont livré le pays à l’islam. Comment osent-ils encore se montrer au public pour déplorer ou nier les effets des maux dont ils ont, pendant quarante ans, chéri les causes ? » (2016) ;

- « De l’immigration obligatoire à la migration des indigènes, chassés de chez eux, il n’y a qu’un pas. Né gaulois, de souche française, le pauvre bougre deviendra demain demandeur d’asile en France. Dépossédé de son titre de séjour sur la terre de ses ancêtres ? » (2016) ;

- « Le décolonialisme, la cancel culture,le racialisme, l'indigénisme désignent un phénomène qu'il faut oser qualifier : c'est la colonisation de la France. Une colonisation de peuplement avec un différentiel démographique défavorable. Une colonisation de conquête : déjà 200 à 300 territoires sur notre sol ne sont plus français. Et une colonisation des esprits : les assaillants veulent obtenir la récusation de l'héritage par les héritiers » (2021) ;

- « L'immigration est le terreau de l'islam qui est le terreau de l'islamisme qui est le terreau du terrorisme » (2021) ;

- « [L’Union européenne] est un protectorat démographique africain [et] un protectorat spirituel de la nation islamique » (2025) ;

- « La tropicalisation de notre pays est le symptôme d’un processus régressif » (2025) ;

- Etc.

Un racisme crasse agrémenté d’une bonne dose de complotisme, avec par exemple en 2016 la prétendue mise à jour d’un « plan secret des élites, qui prévoit que la France doit recevoir 800 000 immigrés par an entre 2020 et 2040 » et l’affirmation que « ce sont les élites européennes et les islamistes qui œuvrent pour changer la population occidentale », on ne vit décidément pas dans le même monde. Un complotisme que vous avez « actualisé » au moment de la pandémie de Covid-19, en recyclant diverses intox et fake news, entre autres celle selon laquelle les « élites » auraient planifié la pandémie, carrément, sans même parler de vos propos conspirationnistes sur la vaccination ou de votre défense inconditionnelle du professeur Didier Raoult et de son remède miracle (et frauduleux), affirmant même sans ciller qu’il vous avait aidé à guérir du covid en vous prescrivant un traitement à base d’hydroxychloroquine et de… pastis.

On aimerait pouvoir en rire, mais malheureusement l’humeur n’est pas à la plaisanterie lorsque l’on sait que vous collectionnez les succès d’audience et de librairie, que vous revendiquez, à l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 600 000 signatures de votre pétition anti-immigration (5), pour le plus grand plaisir d’Europe 1, du JDD-Bolloré et consorts, et que vous venez d’annoncer la sortie, le mois prochain, d’un nouveau livre, Populicide, qui promet encore de grands moments de poésie et d’amour de son prochain : « Pourquoi ce livre ? Parce que je ne veux pas que notre pays meure. En effet, nous sommes face à un crime perpétré par une gente politicienne échappant au jugement de l’instant. Nous sommes en train de changer de peuplement. Nous sommes en train de changer d’art de vivre. Nous sommes en train de changer de civilisation. Quand on tue un homme, cela s’appelle un homicide. Quand on tue un peuple, cela s’appelle un populicide. Nous y sommes, et on nous le cache. » Fichtre, encore un complot.

Au total, si votre popularité dans les sphères de la droite extrême et de l’extrême droite ne fait sans doute pas de vous le faiseur de rois que vous rêveriez d’être et pour lequel vous aimez vous prendre, quitte à inventer des histoires à dormir debout et à vous arranger avec la vérité, il n’en demeure pas moins que votre retour en grâce et votre ascension de ces dernières années en disent long sur l’accélération du processus de fascisation du pays. A fortiori dans la mesure où vous êtes un fervent partisan de « l’union des droites », autrement dit de l’alliance voire la fusion de la droite extrême et de l’extrême droite, un projet qui, de Bruno Retailleau à Éric Zemmour en passant par Sarah Knafo, Laurent Wauquiez, Marion Maréchal, Éric Ciotti et Jordan Bardella, mais aussi Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin, a le vent en poupe, ce qui nous promet de bien beaux développements d’ici à la prochaine présidentielle, on a hâte.

Cher Philippe de Villiers, l’écho rencontré par vos idées et votre personnalité rances est donc à l’image de l’air du temps, une époque formidable où un vicomte raciste et ultra-réactionnaire, qui aime présenter ses livres dans les locaux de l’Action française sous l’œil bienveillant de Charles Maurras, peut être invité à dîner par un président de la république, devenir un « influenceur » diffusant tranquillement son venin dans des médias possédés par des milliardaires et assister à l’inauguration d’une « promenade » à son nom aux Sables-d’Olonne. Notons toutefois que votre succès nous renseigne, « en même temps », sur les forces et les faiblesses de l’extrême droite, tant il apparaît que la virulence et la dangerosité de vos propos n’ont d’égal que leur grossièreté et, disons-le franchement, leur absolue nullité. Ce qui constitue, en définitive, un encouragement à résister et à contre-attaquer, jusqu’à vous remettre à la place que vous et vos amis n’auriez jamais dû quitter : au fin fond d’un musée.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Le 21 juin, des appels à « attaquer et à piquer des femmes lors de la Fête de la musique » ont été postés sur certains réseaux sociaux, et environ 150 victimes se sont signalées. Des violences dont la gravité n’est évidemment pas à relativiser, mais qui n’ont aucun rapport, ni de près ni de loin, avec un quelconque « djihad ».

(2) NDLR : en dépit de certaines rumeurs malveillantes, nous tenons à rappeler que le gouvernement Barnier a bel et bien existé.

(3) Votre passion pour l’enseignement s’est aussi illustrée avec le lancement, en 1990, de l’Institut catholique d’études supérieures (Ices) de La-Roche-sur-Yon, qui bénéficie des largesses du conseil général de Vendée. Même phénomène avec les médias locaux.

(4) Plus sérieusement, cette pratique, caractéristique des médias Bolloré même si elle ne leur est pas propre, a été théorisée comme étant de « l’intégration verticale », à savoir « le fait, pour un capitaliste, de posséder différentes structures et entreprises couvrant tout ou partie des activités de la chaîne de production et de distribution d’un produit ». Dans leur livre — précurseur — publié en 2016, L’Empire. Comment Vincent Bolloré a mangé Canal+, Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, fondateur et fondatrice de l’excellent site Les Jours, donnaient déjà une idée de « l’intégration verticale » à la sauce Bolloré : « Pour faire simple, disons qu’il s’agit de produire un film StudioCanal avec une artiste Universal en tête d’affiche, d’assurer la promo du chef-d’œuvre ainsi réalisé dans Le Grand Journal de Canal+, lequel chef-d’œuvre aura une critique des plus laudatrices dans Direct Matin, sera ensuite décliné en comédie musicale dont la tournée ne manquera pas de passer par L’Olympia, celui de Bruno Coquatrix à Paris, racheté par Bolloré, mais aussi par CanalOlympia, la salle qu’est en train de créer l’homme d’affaires à Conakry, en Guinée. Ça distraira les dockers de Conakry Terminal, la filiale de Bolloré Africa Logistics qui construit une plate-forme portuaire dans la ville, où l’envoyé spécial d’i-Télé, pardon CNews comme a décidé de la renommer Bolloré, ne manquera pas de couvrir l’événement et la chaîne [CStar] de le retransmettre en direct. C’est beau, hein ? » Certains noms ont changé, certaines activités ont disparu, mais la méthode demeure.

(5) Un chiffre, notons-le, absolument invérifiable, dans la mesure où, contrairement à ce qui était le cas pour la pétition contre la loi Duplomb, les modalités de contrôle des identités des signataires sont pour le moins floues, voire inexistantes.

Cher Philippe de Villiers - Boxing Day #47

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