Chère Alix Bouilhaguet,

Quelle semaine !

Mardi 25 novembre, vous expliquiez, à l'antenne de France Info, au cours d’un échange portant sur les récents propos du général Fabien Mandon d’après lequel il conviendrait, face à la « menace russe », de préparer la population française à la guerre et donc à « accepter de perdre ses enfants », que vous « [compreniez] à peine la polémique » dans la mesure où « un chef d'état-major il prépare la guerre il ne prépare pas la paix », en voilà un avis qu'il est intéressant (1). Force est ainsi de constater qu’à peine plus de deux semaines après avoir aligné, au cours d'une interview du député LFI Manuel Bompard, les fake news au sujet du nouveau maire de New York Zohran Mamdani, on y reviendra, vous êtes donc toujours à l’antenne du service public pour y prodiguer vos passionnantes analyses et vos précieux commentaires sur l’actualité, bravo à vous.

Deux jours avant de partager cet indispensable avis sur la guerre, les enfants morts et la paix, vous co-animiez, dimanche 23 novembre, l'émission « Questions politiques », diffusée sur France Inter et France Info, au côté d'Alexandra Bensaïd (France Inter) et Françoise Fressoz (le Monde), pour la grand-messe hebdomadaire de l'interview politique à laquelle vous êtes régulièrement conviée en tant que « spécialiste » de l'exercice. Il faut dire que vous êtes en charge de l'interview matinale de France Info, à l'occasion de laquelle vous avez reçu cette semaine le député RN Laurent Jacobelli, le député LR Philippe Juvin, la ministre chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique Anne le Hénanff et le désormais macroniste député Éric Woerth, quel talent.

Autrement dit tout va on ne peut plus normalement vous concernant, et l'on en oublierait ainsi presque que le dimanche 9 novembre, autrement dit il y a moins de trois semaines, vous avez commis une faute professionnelle majeure, lors de cette même émission « Questions politiques », en jugeant bon d’affirmer, au sujet de Zohran Mamdani, entre autres :

- qu’il avait « repris en son temps le slogan « Mondialiser l’intifada » » ;

- que ce slogan équivaudrait à « faire la guerre aux juifs partout dans le monde » ;

- que « quand on lui demande de condamner le 7 octobre [2023], bien souvent il botte en touche, il répète que le problème, c’est l’occupation d’Israël » ;

- avant de demander à Manuel Bompard : « Est-ce que ça ne vous choque pas ? »

Soit, chère Alix Bouilhaguet, une question malhonnête car précédée de trois mensonges, et pas des moindres, puisque le nouveau maire de New York a qualifié les attaques du 7 octobre 2023 de « crimes de guerre horribles », une bien étrange façon de « botter en touche », qu’il n’a jamais utilisé, tout en refusant de le condamner, le slogan « Mondialiser l’intifada », et que ce dernier mot ne signifie nullement « faire la guerre aux juifs » mais désigne une révolte populaire et est associé aux soulèvements palestiniens de décembre 1987 et septembre 2000. L’invité Manuel Bompard a immédiatement signalé le caractère mensonger de vos propos, sans réaction de votre part, et vous avez même poursuivi avec une nouvelle attaque contre Zohran Mamdani : « Il lève des fonds pour l’UNRWA, c’est une agence onusienne accusée de collusion avec le Hamas », oubliant cette fois de préciser que ces accusations étaient portées par Israël et les États-Unis et qu’une commission d’enquête indépendante avait conclu à l’absence de preuve de ladite collusion, mais ce n’est sans doute qu’un détail, surtout lorsque, comme vous, on aime s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon et à son recours supposé aux « arrangements avec la vérité ».

Devant le tollé suscité par la diffusion, sur France Inter et France Info, de ces grossières fausses informations, les directions de Radio France et France Télévisions ont fait publier deux jours plus tard un discret rectificatif, sous forme de « messages aux auditeurs », sur le site de France Inter, confirmant poliment que vous aviez raconté n’importe quoi. Et le lendemain, soit le 12 novembre, c’était au tour de la médiatrice de Radio France de se fendre d’un billet expliquant notamment que « Philippe Corbé, directeur de l’information de France Inter, reconnaît que des erreurs ont été commises et [lui] a indiqué que les journalistes extérieurs, invités sur l’antenne, s’aligneront désormais sur les procédures de vérification éditoriale appliquées pour toutes les émissions de France Inter », autrement dit Radio France a botté en touche, si l’on peut dire, en rejetant la faute sur la « journaliste extérieure » que vous êtes, puisque vous travaillez pour France Télévisions, ce qui n’est pas très sympa.

L’incendie ne s’éteignant pas, y compris en interne, vous avez finalement été contrainte de revenir sur l’affaire au début de l’émission « Questions politiques » du dimanche 16 novembre, soit une semaine après les faits, au cours d’une intervention à deux voix avec votre consœur Alexandra Bensaïd :

- Alexandra Bensaïd : « Avant de débuter cette grande interview, revenons sur l’émission de dimanche dernier. De nombreux auditeurs nous ont écrit au sujet d’une séquence de quelques minutes durant cette heure de programme, elle concernait le nouveau maire de New York, Zohran Mamdani, et ses positions sur le 7 octobre [2023], l’intifada, et l’agence de l’ONU pour les réfugies palestiniens [l’UNRWA]. Dès mardi nous avons apporté des précisions, des corrections, vous les trouverez sur notre site. La rigueur de l’information est notre valeur cardinale, « Questions politiques » reste le premier rendez-vous politique du dimanche en radio, et de loin, ça ce sont les derniers chiffres Médiamétrie, merci à vous, votre confiance nous honore, elle nous oblige aussi. Un mot Alix Bouilhaguet. »

- Alix Bouilhaguet : « Oui, lors de l’interview il y a effectivement eu des formules imprécises et parfois inexactes. Si j’ai pu heurter les auditeurs et les téléspectateurs je m’en excuse. Mais il n’y a eu de ma part aucune intention partisane, aucune volonté de déformer les faits sur des questions qui sont effectivement extrêmement complexes. »

Et c’est tout.

Chère Alix Bouilhaguet, tout le monde peut évidemment faire des erreurs mais : rien ne va dans ces « excuses ». À commencer par votre collègue qui minimise le problème (« une séquence de quelques minutes durant cette heure de programme »), ne prononce aucun des mots qui fâchent (« erreur », « mensonge », « fausse information ») et ne présente aucune forme d’excuse, préférant se gargariser des audiences alors qu’elle est chargée de l’animation de l’émission et qu’elle a laissé passer vos fake news sans réagir. Quant à vous, de votre « lors de l’interview il y a eu des formules… », un modèle de déresponsabilisation digne de l’inénarrable BHL et de son mémorable « une erreur s’est glissée [dans ma chronique] », à l’emploi des termes « formules imprécises et parfois inexactes », qui sont pour le moins imprécis et inexacts puisque l’on parle bien de désinformation, en passant par votre « je m’en excuse » qui, littéralement, signifie que vous vous pardonnez à vous-même, tant mieux pour vous, on est très loin du minimum syndical.

Sans même parler de l’idée selon laquelle il n’y aurait eu de votre part « aucune intention partisane, aucune volonté de déformer les faits sur des questions qui sont effectivement extrêmement complexes », qui a ceci de particulièrement intéressant qu’elle implique que, si l’on vous croit, vous ne maitrisez même pas les rudiments du métier de journaliste, ainsi que l’a par exemple souligné la CGT France Télévisions dans un communiqué dénonçant le fait « [qu’]une des journalistes éditorialistes de FTV [vous] a bafoué les règles déontologiques en déroulant des fake news face à un député de La France insoumise », effectivement, avant de souligner que « dans une séquence hallucinante, tout d’un coup, les rôles sont inversés : c’est l’invité politique qui devient journaliste en rétablissant les faits, tandis que l’intervieweuse enchaîne les fausses informations », on ne vous le fait pas dire.

Car les impairs que vous avez commis ce jour-là ne sont pas de l’ordre du détail, puisqu’il s’est agi non seulement de répandre de fausses informations, particulièrement infamantes pour certaines d’entre elles, sur le maire de la ville la plus peuplée des États-Unis, mais aussi de les utiliser pour mettre en difficulté un invité que vous tentiez d’accuser de se réjouir du succès électoral d’un antisémite refusant de condamner des crimes violents. En d’autres termes, vous n’avez pas seulement fait usage de « formules imprécises » ni même « parfois inexactes », comme si vous vous étiez trompée sur l’âge de Zohran Mamdani ou sur le nombre d’habitants à New York, mais vous avez attribué au nouveau maire des positions qui ne sont pas les siennes et repris les fake news de ses détracteurs dans le but visible d’incommoder un responsable politique dont vous ne partagez pas les vues.

Ce qui n’est pas très glorieux, et qui n’est en outre pas une première vous concernant. On se souvient ainsi, par exemple, d’une interview de la députée européenne LFI Manon Aubry, le 16 septembre 2024, que vous aviez débutée par la question suivante : « Ce week-end, c’était la Fête de l’Humanité. C’était pas franchement celle de François Ruffin, qui a été copieusement hué et traité de fasciste. C’est un fasciste, François Ruffin ? ». Soit là encore un combo fake news + question malhonnête, puisque non seulement on ne voit pas très bien pourquoi Manon Aubry aurait eu à se justifier d’injures dont elle n’était pas l’autrice et qui auraient été proférées lors d’une initiative organisée par un journal qui n’a aucun lien organique avec LFI mais aussi, et surtout, dans la mesure où François Ruffin n’a jamais été « traité de fasciste » à la Fête de l’Humanité.

Un combo qui vous a valu à l’époque de vous faire suffisamment remarquer pour qu’une saisine soit adressée, par une téléspectatrice de France Info, au Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), structure qui se propose d’être « une instance de médiation entre les journalistes, les médias, les agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique ». Après examen de la saisine et de l’interview incriminée, le CDJM avait établi que « le 16 septembre 2024 au matin, aucun des éléments factuels disponibles ne permettait d’affirmer, comme le fait Mme Bouilhaguet, que « François Ruffin a été copieusement hué et traité de fasciste » », ajoutant « [qu’]en reprenant à [votre] compte cette affirmation, [vous teniez] des propos inexacts », avant d’en conclure que « l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par France Télévisions et Mme Alix Bouilhaguet », toutes nos félicitations.

Chère Alix Bouilhaguet, le moins que l’on puisse dire est donc que la déontologie n’est pas à franchement parler une seconde nature chez vous, a fortiori lorsque vous questionnez des responsables politiques de La France insoumise (2). Il ne nous a d’ailleurs pas échappé que, lors de l’interview de Manuel Bompard le 9 novembre, vous ne vous êtes pas contentée de raconter n’importe quoi à propos de Zohran Mamdani dans le seul but de prendre en défaut votre invité mais que vous avez en outre dressé un « portrait » de ce dernier dont le ton et le contenu ne manquent pas de singularité : « Vous apparaissez […] en quelque sorte comme l’antithèse de Jean-Luc Mélenchon, c’est l’anti-bruit et fureur, mais si votre style diffère vous êtes son premier lieutenant zélé, le coordinateur du parti, celui qui donne les éléments de langage, celui aussi qui a gravi tous les échelons de la Mélenchonie depuis 2008… Est-ce que c’est offensant de vous décrire aussi comme un apparatchik ? » Une question, chacun l’avouera, particulièrement respectueuse de votre interlocuteur et, en outre, indispensable du point de vue d’une journaliste politique se fixant pour tâche d’informer et d’éclairer le débat public.

Informer et éclairer : un véritable sacerdoce chez vous, qui officiez sur le service public depuis plus de 20 ans, durant lesquels vous avez été, entre autres, reporter, journaliste politique et rédactrice en chef de « L’Émission politique » sur France 2, avant d’occuper votre fonction actuelle, à savoir intervieweuse-éditorialiste. Et c’est ainsi qu’il y a 20 ans vous faisiez déjà montre de tout votre talent avec un sujet, diffusé le 12 janvier 2006 par « Envoyé spécial », consacré à Olivier Besancenot, alors porte-parole et candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Un reportage qui, ainsi que l’avait analysé l’observatoire des médias Acrimed, constituait « un portrait soigneusement dépolitisé » durant lequel, en voix off, on vous entendait par exemple évoquer, sous une forme faussement interrogative, « une créature fabriquée de toutes pièces par un parti en mal de publicité », prétendre « [qu’]Alain Krivine, l’inusable patron de la LCR, veille sur son poulain » ou affirmer « [qu’]Olivier Besancenot n’a peut-être pas la tête d’un révolutionnaire », voilà qui est intéressant. De même qu’il était sans doute nécessaire, pour la qualité de l’analyse, de donner la parole à l’alors animateur des « Grosses Têtes » Philippe Bouvard afin qu’il explique « [qu’]on sait bien que derrière cette façade juvénile et joviale, il y a le monstre froid d’un certain totalitarisme », no comment.

Commentaire d’Acrimed à l’époque : « D’un bout à l’autre du reportage, une même question : Olivier Besancenot est-il un produit « marketing » ? La réponse était dans la question et dans le principe même de ce « portrait » qui, par un étrange jeu de miroir, se rend coupable, comme tant d’autres « enquêtes » journalistiques, de ce que l’enquêtrice reproche à Olivier Besancenot : marketing, culte de l’image, complaisance, distance culturelle avec les couches populaires… » Bref, du grand journalisme politique. « Combien, parmi ceux qui lui demandent des autographes, connaissent vraiment son programme ? », demandiez-vous d’ailleurs à propos du porte-parole de la LCR, sans visiblement vous rendre compte que vos propos étaient non seulement particulièrement méprisants mais, en outre, un tantinet décalés au cours d’un reportage centré sur les anecdotes, les rumeurs et le « personnage » Besancenot sans évoquer, sinon de manière très rapide et caricaturale, le programme de son organisation.

Mais les programmes politiques ce n’est pas votre truc, comme vous l’avez encore montré lors de la campagne des élections législatives en juin-juillet 2024, entre autres avec une désormais légendaire interview de la députée insoumise Clémence Guetté durant laquelle votre obsession de la politique politicienne en général et de Jean-Luc Mélenchon en particulier a atteint des sommets (3) :

- Clémente Guetté : « Aujourd’hui nous avons un programme de 150 mesures pour le pouvoir d’achat, pour les services publics, pour la bifurcation écologique parce que le changement climatique… »

- Alix Bouilhaguet : « Oui mais on voit Jordan Bardella, on voit Gabriel Attal, chacun a son Premier ministre. Chez vous c’est qui ? »

- CG : « Madame, Jordan Bardella il a huit mesures d’urgence. Donc je pense que les médias et les Français de manière générale devraient s’intéresser à son programme… »

- AB : « Mais il est candidat Jean-Luc Mélenchon, pourquoi pas le dire clairement ? »

- CG : « J’y arrive madame. Mais Jordan Bardella il dit « Je ne bloquerai pas les prix », « Je ne ferai pas l’abrogation de la réforme des retraites », « Je vais assouplir l’ISF » […]. Donc le programme de monsieur Bardella je pense que c’est un sujet auquel on devrait… »

- AB : « Jean-Luc Mélenchon, excusez-moi je reviens à Jean-Luc Mélenchon. François Hollande, François Hollande il dit qu’il faut qu’il se taise. François Hollande il dit Jean-Luc Mélenchon doit se taire. »

Chère Alix Bouilhaguet - Boxing Day #58

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