Dans une enquête publiée samedi, Blast révèle les conditions de la vente à Romainville de l’ex-site Sanofi à un promoteur privé – une vente orchestrée par l’Etat sans mise en concurrence, à un prix bradé et au lendemain des élections municipales de 2020, avant que la nouvelle équipe élue ne s’installe à l’Hôtel de ville. Deux ans plus tard, le groupe Fiminco s’apprête à encaisser une énorme plus-value sur la revente du site Biocitech, qui lui été offert sur un plateau. Dans la foulée de la parution de notre article, la direction de Fiminco a fait disparaître de son site Internet le nom d’un de ses dirigeants dont nous pointions le parcours. Ce n’est pourtant pas le seul dont le curriculum vitae interroge.
Après la vente, faut-il maintenant cacher et effacer les traces susceptibles d’éclairer les dessous de cette transaction ? Pour Fiminco, à qui la Caisse des dépôts avait obligeamment cédé près de 20 000 de m2 et plus de 3 hectares de réserve foncière aux portes de Paris en juin 2020, l’enjeu en vaut probablement la peine vue la phénoménale plus-value que le groupe s’apprête à réaliser sur sa revente. Celle-ci – pour laquelle la banque Rothschild a reçu un mandat de Fiminco - est quasiment bouclée, comme Blast l’annonçait samedi.
Dans notre enquête (« Romainville, l’Etat brade, les promoteurs et les banquiers trinquent »), parmi des nombreux éléments, nous pointions le curriculum vitae d’un des dirigeants de Fiminco. Avant de renforcer le promoteur en 2016, Didier Banquy a notamment été dircab adjoint du cabinet de Nicolas Sarkozy au Budget (1993 à 1995) puis à l’Economie (2004), puis directeur de cabinet de François Baroin encore au Budget (2010 à 2011), avant de le suivre et retrouver le ministère de l’Economie (2011 à 2012). Un parcours emblématique de ces pantouflages entre privé et public, devenus la norme chez les hauts fonctionnaires qui vendent leurs carnets d’adresses et leur capacité à actionner des relais au plus haut niveau de l’administration et des ministères.
En 2010, au moment de rejoindre François Baroin à Bercy, Didier Banquy se félicitait ouvertement de cette spécialité : « Je suis un adepte des allers-retours public-privé, je n'ai pas du tout hésité », confiait-il alors aux Echos. « [L’]adepte » - qui a également pantouflé au Paris mutuel urbain (PMU) ou encore au groupe BPCE (Banques populaires - Caisses d'Épargne), dont il a été le secrétaire général - n’y voit ainsi aucune difficulté.
Pas d’hésitation, donc. Pourtant, quand on l’observe depuis Romainville, le parcours de l’inspecteur des finances a de quoi intriguer. Il met singulièrement en perspective l’histoire de Biocitech. Bercy et le ministère de l’Economie sont en effet les deux tutelles de la Caisse des dépôts (qui avait racheté le site au moment du départ de Sanofi en 2014). Didier Banquy y est comme chez lui : en 2019, les ministres de l’Economie et du Budget l’ont conjointement nommé président du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB), une structure rattachée à leurs deux ministères.
Autrement dit... au moment où le montage de l’opération de Romainville est imaginé, avant sa conclusion actée discrètement en juin 2020.
On le voit, Didier Banquy avait d’excellentes relations à faire valoir. Une carte majeure dans le jeu de Fiminco. En avril dernier, il a été renouvelé à la présidence du COLB.
C’est donc ce parcours où tout se confond qui, quelques heures à peine après la parution de l’article de Blast, a disparu du site de Fiminco. A croire qu’il y avait urgence pour opérer cette évaporation en plein week-end, un samedi après-midi.
Mais, week-end oblige sans doute, les équipes de nettoyeurs du samedi n’ont fait le job qu’à moitié si on en juge à la page de présentation de la fondation Fiminco, sur laquelle Didier Banquy figure toujours en bonne compagnie. La fondation Fiminco, indique son site internet, accueille des artistes sur « un ancien site pharmaceutique qui fut en son temps une véritable ville, déployée sur plusieurs hectares ou plus de 4 000 personnes ont travaillé au plus fort de l'activité ». Autrement dit sur... l’ex-site Sanofi de Romainville - celui qui est aujourd’hui dans l’œil du tigre. Outre le fait que ce type de structures présente l’avantage d’offrir de réjouissantes perspectives de défiscalisation, cette fondation a servi de paravent à Fiminco pour faire de l’image à bon compte et donner l’impression qu’il se passait quelque chose sur place et que Biocitech était en train de renaître. Ce que le maire de Romainville François Dechy conteste vivement dans une tribune cosignée avec le président de la communauté de communes Est Ensemble – que Blast a évoquée dans son enquête. La réalité des activités de la fondation qui a servi de cache sexe à l’inaction de Fiminco est par ailleurs l’objet de nombreuses critiques.
Dans cette affaire Biocitech, l’actuelle municipalité a été tenue soigneusement à l’écart des manœuvres autour de ce site stratégique pour l’avenir de Romainville et de sa population, et depuis le début, depuis son élection. A croire que le changement de majorité intervenu en 2020 (après une double décennie de pouvoir sans partage du Parti socialiste) a pris tout le monde de court. Comme s’il avait été perçu comme une possible entrave aux affaires, celle que les Fiminco et les autres avaient pris l’habitude de réaliser dans une ville livrée pendant des années aux promoteurs. De là à précipiter une opération dont on aurait craint qu’elle ne soit entravée par la nouvelle mairie ? Les circonstances dans lesquelles la Caisse des dépôts s’est débarrassée de Biocitech, que notre enquête a mises au jour – une cession précipitée et en catimini, sans mise en concurrence pour une bouchée de pain, avec la perspective deux ans plus tard d’une revente pour près de 5 fois le prix de son acquisition - rendent cette question brûlante parfaitement légitime.
Au-delà du nettoyage approximatif de samedi, le cas de Didier Banquy n’est peut-être pas la seule urgence du moment pour le futur ex-propriétaire. En effet, au sein de son équipe dirigeante, un autre profil interroge, susceptible lui aussi d’éclairer les dessous de la transaction que le maire de la ville et son équipe n’ont découverte qu’en novembre dernier, 16 mois après que la vente ait été réalisée en toute discrétion.
Patrick Delvoye n’a pas besoin d’être effacé de l’organigramme présenté par Fiminco sur son site : il n’y apparaît pas. S’il n’est pas mentionné, il est pourtant directeur adjoint du groupe Fiminco. Il l’a rejoint en 2018, au moment où les tractations débouchant sur la vente par l’Etat de Biocitech étaient sur le point de démarrer. Dans cette optique, Patrick Delvoye a été une excellente recrue pour son nouvel employeur, et ses ambitions. Où travaillait jusqu’alors Patrick Delvoye ? Ca ne s’invente pas : à la Caisse des Dépôts ! Depuis 2009, il y occupait les fonctions de directeur territorial en Ile-de-France (pour les départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines). Patrick Delvoye est donc passé sans coup férir de la banque publique à Fiminco juste avant que son nouvel employeur ne récupère comme tombé du ciel et dans des conditions douteuses un site faisant fantasmer tous les bétonneurs de la place…
Le 1er février 2018, un message relaie sur les réseaux sociaux un déjeuner avec des élus des Yvelines et de Seine-Saint-Denis organisé pour fêter le départ de la banque publique de Patrick Delvoye, attablé avec une quinzaine de convives. Le tweet, rédigé à partir du compte attribué à la direction régionale Ile-de-France de la Banque des territoires, est sans équivoque.
En septembre dernier, deux mois avant que la municipalité ne découvre les détails de l’incroyable histoire de Biocitech, Mariane Louradour a été remplacée à la tête de la direction régionale Ile-de-France de la Banque des territoires - la branche de la Caisse des Dépôts qui a piloté et opéré la cession à Fiminco. C’est son successeur qui a écrit en janvier dernier au maire de Romainville, pour tenter d’apaiser sa colère et lui assurer combien la banque (qui a conservé une part minime dans Biocitech) sera vigilante sur le devenir du site.
Tout ce petit monde se retrouve donc en excellente place pour assister au clou du spectacle qui promet désormais à Fiminco de réaliser une plus-value estimée au bas mot à 72 millions d’euros. L’occasion certainement d’un bon repas avec Patrick Delvoye.
Pour fêter le jackpot, entre amis.