À la mémoire de mon grand-père, Victor ; à la mémoire d’un monde, le sien
Une bouquinerie d’un grand pittoresque et de petite taille, vêtue tout en bois, au rangement rigoureux, avait laissé poindre un livre hors des étagères. L’encre sur la tranche avait faibli. Détail commun à beaucoup de reliques, il devait rendre le titre de celle-ci symbolique : Dans la langue de personne. L’atténuation de La langue de personne rendait la disparition double. Le sens semblait matérialiser l’effacement. Cette interaction entre le matériau et le signe m’incita à repartir avec.
Puis, l’abîme. Dans la langue de personne est un texte qui porte sur la fin du yiddish et de sa communauté de parole pendant la Shoah. Texte qui remonte aux élaborations, aux maintiens, aux œuvres dont cette langue fut le sujet et le support, il décrit l’assassinat des modes de vie, des modes d’être, des configurations sociales, des transmissions, des poétiques, des fictions, des familles, dont le yiddish était le cœur. Une étude approfondie des écrits en yiddish pendant la période de l’extermination donne à voir les perspectives des poètes face à la disparition d’un peuple et sa langue. Le yiddish est emporté à l’endroit où la parole yiddish clame ses derniers mots, ajoure l’empreinte de son témoignage. Le yiddish meurt en décrivant sa mort ; le yiddish est sous la marée et, par devers la houle, une dernière fois, esquisse sa lune.
La lecture terminée, le silence devint nodal. La destruction de la langue et de ses locuteurs ; les survivants qui la parlaient toujours et leur solitude dans les pays où ils exilèrent ; les poèmes qui s’acharnaient dans la résignation, la vengeance, l’apophasie, la mort de Dieu ou le désenchantement ; la mort passée de champ lexical à unique champ de la langue – cette infinie richesse du dénuement me rendit à l’évidence : c’était là un évènement trop absolu, une révolte trop inintelligible, une apocalypse trop vivante pour que j’en comprisse quelque chose.
Élimé aussi était le nom de l’auteur sur la tranche. Rachel Ertel. Traductrice du yiddish au français et professeure de yiddish à Paris, née à Słonim en 1939 et déportée la même année vers la Sibérie, avec sa mère, en tant que « famille d’un ennemi du peuple ». Son père, Mendel Chalupsky, était membre du Bund, parti socialiste juif persécuté par les autorités staliniennes. Captif au goulag loin de sa famille, il put retourner à Słonim - désormais sous occupation allemande - et fut assassiné lors d’un bombardement nazi. Rachel Ertel revint en Pologne, à Łódź, sept ans après son exil forcé. Elle arriva à Paris en 1948, avec sa mère, son beau-père et son frère, rue Guy Patin.
Dans la langue de personne m’était toujours insondable. Cette « expérience du gouffre » comme l’écrivait Benjamin Fondane, qui formait la toile de néant propre à cet essai, demeurait opaque à tout regard compréhensif. Ne restait que la larme. La phrase de Kafka « Il y a abondance d’espoir mais il n’est pas pour nous » murait chaque tentative d’accéder à la sonorité tangible de ces cris distincts, de ces derniers signes, de cette grammaire contre l’Histoire.
Alors j’ai rencontré Rachel Ertel.
« C’est important, la voix. » me dit-elle après deux heures de conversation. Dans cette phrase anodine se tenait la réponse.
Nous avions commencé par discuter des Avant-Gardes yiddish, de leurs particularités, de l’oubli qui les entourait. « Ces écrivains étaient en rupture avec le monde juif environnant, par leurs écrits, leur habillement, leurs déclamations, leurs réunions bruyantes. Ils disaient « je ne suis pas d’ici, je suis d’ailleurs ». En effet, une constellation d’artistes, qui avaient rejoint les grands centres urbains d’Europe, puis New-York, organisa au début du siècle une révolte mue par une double inflexion, à la fois imprégnée par les modernismes européens et rejetant la vie traditionnelle du Shtetl, nom yiddish des bourgades juives d’Europe de l’Est. Des revues émergèrent, dont la plus célèbre, Khaliastra, donne à voir une poésie irréductible à aucune autre, une poésie qui détonne avec celle des diverses Avant-Gardes en raison d’une déchirure, que Rachel Ertel nomme « poétique du cri », poétique qui se soulève devant le sort du peuple juif victime de pogroms à l’est. Rachel Ertel :
« Les Avant-Gardes crient très fort… elles crient très fort. Alors peu importe qu’on les entende ou pas, ça n’est pas leur problème. Leur problème, c’est de crier. »
Peut-être est-ce une coïncidence, la dernière dimension pleinement originale de ces revues fut la grande part dédiée à la traduction d’œuvres classiques. Derrière les poèmes et les illustrations, des pages entières de Freud, Dostoïevski, Mann, figuraient en yiddish. Rachel Ertel :
« Il y avait une avidité du savoir, un désir de faire connaître ces auteurs, de donner corps à la culture yiddish par une connaissance plus vaste. »
Les Avant-Gardes sont donc une antichambre privilégiée pour observer le déploiement de la culture yiddish à travers sa langue. Langue qui jalonne et manifeste un art de vivre, de représenter le monde. N’y a-t-il pas, en effet, dans chaque trait de Chagall, un mot de yiddish dévisagé ?
Puis, cette poétique du cri observa l’imprononçable. En 1939, huit millions de locuteurs du yiddish vivaient en Europe. En 1945, trois millions avaient survécu. Après le génocide - hurbn, en yiddish – les rescapés, pour beaucoup, ne transmirent pas la langue à leurs enfants. Les raisons sont nombreuses : la honte, la volonté de s’intégrer aux langues d’accueil... C’est aussi un monde qui disparut avec sa langue, une vie de chants, de fêtes, de recueillements ; une existence particulière, qui n’en finissait pas de s’apprendre encore, de se reformuler, d’organiser sa modernité et son conservatisme, ses œuvres et ses déchirures. En somme, c’est de cette culture prise dans la langue dont Rachel Ertel parle quand elle dit : « Le yiddish est une langue assassinée. »
Rachel Ertel a traduit et continue de traduire une fresque de littérature yiddish, du début du XXème siècle jusqu’aux plus contemporains. Quand je lui demande ce que représente l’acte de traduire, elle répond :
« Ce que je fais pour le yiddish est une vie, et non pas une mort. Il y a un très beau texte de Peretz (classique de la littérature yiddish), qui s’appelle Métamorphose d’une mélodie. J’ai l’impression que les traductions que je fais, les textes que j’écris, sont une sorte de métamorphose de la mélodie yiddish. Traduire du yiddish est un exercice de témoignage. Mais j’en fais aussi le deuil. Par exemple, À pas aveugles de par le monde, (Texte de Leïb Rochman traduit par Rachel Ertel), je sais que plus personne ne le lira en yiddish, et on le lira peut-être en français. Je témoigne de cette culture et de cette langue, et en même temps, j’en fais le deuil. »
En arrivant à Paris, Rachel Ertel vécut rue Guy Patin, dans un immeuble où résidaient cent personnes et n’en pouvait accueillir que la moitié. Elle me dit « avoir un souvenir scopique » de cet endroit, des visages qui l’habitaient. C’est ici que ses premiers souvenirs se formèrent, vers ses dix ans. C’est à partir de ce lieu que s’établit son désir de faire vivre le yiddish dans la traduction, bien qu’elle ne commençât que plus tard. Elle décrit :
« Là, j’ai senti à la fois cette vitalité et ces vies brisées. Ils avaient déjà conscience que tout était perdu. Quand j’ai commencé à traduire le yiddish en français, j’ai voulu montrer la modernité de cette culture. On a toujours une vision de ce monde comme s’il avait toujours disparu. Mais, il est disparu maintenant, quand il était là, il était extrêmement vivant. »
Nous avons parlé de Georges Perec, qu’elle connut, et dont elle dit « que c’était un homme qui vivait avec le mystère de son existence », de Paul Celan, également, à qui est dédié ce titre, Dans la langue de personne, en miroir de son recueil La rose de personne. Vint cette phrase, au moment d’aborder les auteurs qu’elle traduit :
« Ce sont les voix que j’ai voulu sauver. »
Les voix. Nous n’entendons rien. Lorsqu’Avrom Sutzkever écrit dans ses Mémoires que faire entrer des fleurs dans le Ghetto de Vilno était interdit, nous n’entendons rien.
Lorsque Glatstein écrit que « Les mots deviennent cendres » après la Catastrophe, nous n’entendons rien. Lorsque l’on retrouva à Vittel les trois bouteilles qu’Itsak Katzenelson avait enterrées, dans lesquelles se trouvait le manuscrit de son poème Le chant du peuple Juif assassiné, nous n’entendions rien. Lorsque Selma Meerbaum-Eisinger, cousine de Paul Celan, morte à 18 ans à Auschwitz, écrit : « Ô toi, sais tu comment pleure la pluie ? », nous n’entendons rien. Lorsque Edtih Hirshowa, dite Tita, illustrait les publications de La main à plume, revue surréaliste clandestine publiée en France de 41 à 44, la même Edtih Hirshowa qui devait être emportée pendant la rafle du Vel D’hiv, nous n’entendions rien. Lorsque Robert Desnos écrit à Youki, alors qu’il est promis à la mort : « Le reste, je te le promets pour plus tard. », nous n’entendons rien. Lorsque Max Jacob s’éteint dans les geôles de Drancy, nous n’entendons rien. Non que nous ne sachions entendre, mais parce qu’il n’y a rien là où nous posons l’oreille. La vacuité du souvenir est la vacuité de la voix ; la vacuité du souvenir est ce que la mémoire n’entend pas. Savoir ce qui eut lieu ne saurait être savoir le lieu.
La mutité est la condition même de ce souvenir. Ce qui est lu, pensé, enseigné, commémoré ne peut sourdre avec le grain des voix lues, pensées, enseignées, commémorées. Nous ne savons pas. La voix est ce que la mémoire n’augure pas. Pour autant, la voix prononce l’écrit. L’écrit fébrile à travers la voix qui ne sera jamais la voix. Le cri qui ne sera jamais la gorge. L’absence du bruit qui est la trace du bruit dans le geste enfantin du crayon. Rachel Ertel avait répondu :
« C’est important, la voix. »
Cette poétique du cri n’est pas un enduit duveteux qui, d’une lettre d’onguent, chagrinerait sur l’agonie. La réputation du « laisser-faire » des assassinés, quand elle est fausse pour la vie, l’est aussi bien pour le poème. Le lyrisme de l’épreuve n’accueille pas la fatale sordidité dans un éclat de bienséance, où la larme louvoierait un dernier vœu. Cette mythologie avilissante, qui soutient l’idée d’une adhésion mortuaire et d’une passivité sacerdotale, n’accède à aucune réalité historique ou vérité littéraire. Le chagrin, puisqu’il fut, était volcanique ; la larme jaillit dans la couleur du sang et l’épouvante du deuil ; l’extermination ne donna pas lieu à une vacuité muséale bonne à endolorir la postérité : le cri était un saccage digne dressé contre le saccage de l’être, le cri porta le nom contre la misérable abolition du droit à le porter. Zeitlin, depuis New-York, en 1944, parle :
« Il n’est personne
pour donner sens au soleil,
au jour offrir un Dieu. »
Il n’y eut pas de fard pour recouvrir le fardeau, pas de faim d’esthétique civilement destinée à consigner la fin d’un monde. En témoignant, le poème arrache au mal sa première personne du singulier, il déborde le plateau fabriqué du néant, dégage le vouloir-vivre absolu de l’orphelin fauché en gambadant, il fouille l’embrun, l’embrun démesurément profus, long, existant, d’une douleur pétrifiée, impondérable et inaudible. Le cri n’a rien d'une ordalie testamentaire, de bassement mémoriel ou d’emphatique ; le futur du cri n’est pas l’audience car le prochain, c’est l’existence. Rachel Ertel me dit que la phrase de Paul Celan « Nul ne témoigne pour le témoin » est particulièrement difficile pour elle. Peut-être pour cette raison que :
« Il n’est personne
pour donner sens au soleil,
au jour offrir un Dieu. »
Traduire tremble. Le geste d’itération du cri, dans une autre langue que le cri, endeuille la sonorité originelle du cri. L’ambivalence du passage d’une langue à l’autre définit la difficulté de préserver et le cri et la tonalité du cri, de ne pas malmener l’origine dans une théâtralité qui le réduirait à un objet d’exposition. Par là, le yiddish ne peut être l’élément singulier d’une sanctuarisation des morts et des rescapés. Sinon, la mémoire devient l’énoncé d’un artefact pittoresque, qui se matérialise dans une pitié plaintive, sorte de purgatoire moral et concupiscent. La pitié est l’orgueil du souvenir. Aaron Zeitlin, Rien d’autre que des mots :
« Une fois de plus
derniers Juifs, mes Juifs-de-mots, mes faibles frères,
je n’apporte rien d’autre que des mots
rien d’autre que des chants. »
« Ce sont les voix que j’ai voulu sauver ». Là où ne reste que la parole, la parole n’est pas sûre de rester. Écrits partout où ils pouvaient l’être, griffonnés sur ce qui officiait comme papier, cachés dans les rainures asphyxiées des murs ou les égouts qui firent centres d’archives, les textes durent affronter mille embûches. Il fallut les localiser, les retrouver, les expurger, les soigner, et il fallut les lire. Les locuteurs du yiddish morts ou ne désirant pas parler pour la plupart, restaient leurs enfants. Parmi eux, Rachel Ertel. Et de le dire, ce sont les voix qu’elle sauva.
Groupe verbal en page de garde, « traduit du yiddish » rappelle l’existence de la langue anéantie. Dans un geste figé par l’imprimerie, « traduit du yiddish » inscrit au front du livre ce qui l’irrigue et l’informe ; texture qui n’est pas le texte, texture qui renvoie le texte à sa généalogie, généalogie qui est la fin de ce même texte. L’anéantissement de la langue désavoué par sa traduction rend, paradoxalement, l’anéantissement visible. Le yiddish est une langue donnée au brouillard, désaffectée par l’extermination de ses locuteurs. Il est une langue interdite par l’absence de ceux qui le parlaient. Toutefois, dans une lueur suffoquée, le manuscrit, la main, le regard, reparlent le parler disparu. Ce qu’il y a d’anéanti de la langue n’est plus néant de la langue. Justice doit ainsi se rendre et justice est parole, parole d’un autre langage, parole en une autre chose, rédemption par l’écho. « Traduit du yiddish » en page de garde, et c’est l’aurore.
Gilles Rozier, Charles Dobzynski, Batia Baum, entre autres, travaillent sous la même lueur. Il n’est ni question de surseoir le yiddish dans une langue d’arrivée qui en raviverait la teneur, ni de ressusciter une culture dans une autre. Il est question artisanale de continuer un organisme qui n’a d’autre succession que sa douleur. Le sang versé doit revenir au verbe, sa couleur au lecteur, son nom à la vie. La culture que le yiddish soutenait dans les bourgades, dans les bas-fonds, dans cet Est de l’Europe, accuse un irrémédiable deuil. Ce yiddish là est perdu, reste le yiddish. Rachel Ertel :
« Tout ce qui a été produit en yiddish pendant et après le génocide parle de façon directe ou oblique de l’anéantissement. Les catégories de l’esthétique et de l’éthique sont confondues dans l’ordre qui leur est intimé de dire le deuil. »
Alors, nous entendons un peu. Nous n’entendons pas la voix mais la voix sauve. Nous entendons la restitution du mot, du nom, de la chose fêlée. Le murmure s’allonge, quelque chose est là. Quelque chose dont le lieu nous échappe, quelque chose que le silence précède. Nous restons au seuil de quelque chose qui chuchote. Abysse du chuchotement qui incise l’oreille ; abysse du balbutiement qui demeure et scelle les noms, les trop nombreux noms. Nous entendons Georges Perec dans Espèce d’espaces :
« Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. »
Nous entendons Isaïe Spiegel dans le ghetto de Lodz, en 1943 :
« La neige pose sur mon cœur des plaies de lumière
Mon corps – un pain trempé dans un calice de sang
Ma gorge oiseau ensanglanté lance ses derniers trilles
Vers le ciel lointain, distant et haut, très haut. »
Il y a des bris qui susurrent. Il y a l’éclat de quelque chose que l’on peut poser dans sa main. Là où on ne sait rien, où le témoignage est intraduisible, sa parole l’est. Rachel Ertel d’écrire dans Brasier de mots :
« Le désastre, la catastrophe qui ont frappé ces mots, nous condamnent de génération en génération, à être des cryptophores. »
Le cri. La mort est advenue, le cri. Rien ne dépasse, résolument, ce bruit qui déchire la ténèbre anonyme, encercle l’instance juridique et administrative de l’assassinat. Il reste un poème. Ça n’est rien que de dire : il reste un poème. Et le poème est cette âme des lieux, des courtoisies, des moments, des conversations, des prières, des architectures, des habitudes, des sourires, des lits, des chandeliers, des calendriers, des fêtes, des enfants, des choses, de l’ici-bas, du ci-haut ; et le poème est ce qui fut et sera, et la traduction est ce qui fut et sera.
Le yiddish culturel n’est plus, il n’a plus rien ; les résistants ont perdu frères et sœurs ; frères et sœurs ont perdu résistants ; les familles ont perdu leurs membres ; ils sont partis. Un geste, une étoile, un chœur, un mot, le poème est traduit, et c’est l’aurore. Ils sont là, déserts et là. C’est le matin, dans une librairie tout en bois, qui se dérobe à sa discipline et laisse un livre sans place dédiée. Dans la langue de personne, c’est le titre du livre. Rachel Ertel, le nom de l’auteur. Tout y est insaisissable. Ce sont des gens qui crient. Ils crient leur sœur, leur mère, leur enfant, leur père, leur peuple, leur langue. Il y a des poèmes et il y a la traduction. Il y a leur traduction. Il y a. C’est une bouquinerie de petite taille, où se tenait, droit, entier, ce qui restait.
Rachel Ertel a traduit d’innombrables textes du yiddish au français. Deux, parmi eux, nous obligent : Exils et Le vent qui passe, écrits par Menuha Ram. De son nom Riwa Mirski, Menuha Ram fut déportée avec sa fille à l’est de l’URSS, en 1939, en raison des activités politiques de son mari. Elle revint à Łódź 7 ans plus tard et partit pour Paris en 1948, rue Guy Patin. Sa fille avait alors une dizaine d’années. Avec elles se trouvaient Moshe Waldman et son fils, Aron, qui devint le frère de la petite fille. C’est au retour de Sibérie que les premiers souvenirs de l’enfant se formèrent. Rue Guy Patin, elle observa la recomposition d’un monde yiddish désargenté, qui tenait à sa langue tout en sachant son univers disparu. C’est à ce même moment qu’un certain Paul Celan arrivait à Paris depuis sa Roumanie natale. Ses parents étaient morts pendant la guerre. La critique littéraire allemande lui reprocha d’en faire un thème de sa poésie. Dans une lettre à Ingeborg Bachmann, en 1959, il écrivait :
« Je ne peux pas ne pas penser à ma mère. »
La petite fille avait alors fait ses classes et se préparait à une carrière universitaire. Elle partit pour les États-Unis. Revenue en France, elle parvint à ouvrir une chaire de yiddish à Paris. En 1974, paraissait Le vent qui passe aux éditions Julliard. En 1993, les mêmes éditions publiaient Exils. Sur la page de garde figurait le nom de l’auteur, Menuha Ram. En dessous, on pouvait lire : « Traduit du yiddish par Rachel Ertel ». C’était le nom de la petite fille.
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Adrien Colrat