Cher Denis Olivennes,

Quelle semaine !

Lundi 9 juin, vous publiiez sur X un post laissant entendre que la députée européenne Rima Hassan, passagère du navire Madleen qui venait d’être illégalement abordé par l’armée israélienne alors qu’il faisait route vers Gaza, souffrirait d’un « trouble de la personnalité narcissique », il est vrai que la psychiatrisation de celles et ceux que l’on considère comme des adversaires est une méthode qui a fait ses preuves. Le lendemain, le magazine Franc-Tireur dont vous êtes, d’après sa directrice de la rédaction Caroline Fourest, le « parrain », choisissait lui aussi d’évoquer le Madleen avec, à la « Une », le titre « La flottille s’amuse », qu’est-ce qu’on se marre, et un article dans lequel on apprenait que « pendant la guerre, les héros de la flottille auraient livré Anne Frank et tout enfant juif caché dans des placards », c’est bien noté, on va vomir et on revient.

Nous devons avouer qu’après avoir pris connaissance de votre post et de ce très subtil article de Caroline Fourest, qui est évidemment l’autrice de ces outrances, nous n’avons pas eu le courage de regarder si la nouvelle chaîne de la TNT T18, possédée, comme Franc-Tireur, par la holding CMI France dont vous présidez le conseil de surveillance, a elle aussi décidé de traiter, dans les jours qui ont suivi le lancement de la chaîne le vendredi 6 juin, de la Flottille pour Gaza ou, plus globalement, de la guerre génocidaire menée par Israël. Mais nous ne doutons pas qu’avec des dirigeants tels que vous, puisque vous jouez un rôle central dans le dispositif de CMI France, propriété du milliardaire tchèque Daniel Křetínský, T18 ne manquera pas, sur ce sujet comme sur bien d’autres, de tenir l’aguichante promesse contenue dans le très audacieux slogan de la chaîne : « La télé qui s’amuse à réfléchir ».

Lors des auditions devant l’Arcom au cours desquelles vous aviez défendu l’an dernier, au côté du philosophe pour chaînes d’info Raphaël Enthoven, le projet qui allait aboutir à T18, vous expliquiez que votre ambition était de bâtir une « chaîne généraliste différente et populaire, pédagogique et amusante », organisée autour du triptyque « Documentaires-Débats-Divertissement », autrement dit 3D, c’est vrai que c’est amusant. Ces arguments ont convaincu l’Arcom qui a décidé de vous attribuer une fréquence de la TNT, une excellente nouvelle pour le groupe CMI qui ne possédait jusqu’alors, entre autres, que les journaux et magazines Elle, France Dimanche, Ici Paris, Télé 7 jours, Version Femina, Marianne et Franc-Tireur, en plus de liens privilégiés avec Libération, d’une participation conséquente dans le groupe Le Monde et de la propriété d’Editis, deuxième groupe d’édition français (Robert Laffont, Julliard, 10/18, Pocket, le Cherche Midi, la Découverte, Bordas, Nathan, etc.), longue vie au pluralisme.

Cher Denis Olivennes, même si vous n’êtes pas forcément très connu du grand public, le moins que l’on puisse dire est donc que vous occupez aujourd’hui une place tout sauf marginale dans l’univers des médias et de l’édition, puisque vous présidez à la fois les conseils de surveillance de CMI France et d’Editis mais aussi, comme si tout cela ne suffisait pas à occuper vos journées, la holding « Presse indépendante SAS », propriétaire de Libération, via laquelle Daniel Křetínský a prêté plus de 40 millions d’euros au journal depuis 2022. Un milliardaire aux dents longues, on y reviendra, au sujet duquel vous ne tarissez pas d’éloges, comme lors du lancement de T18 le 6 juin, ainsi que l’a relevé Acrimed : « C’est un gars absolument fantastique […] qui est par ailleurs, par sa formation, par son esprit, par ses engagements, déterminé à favoriser, à aider la démocratie », si vous le dites.

Une place que vous avez conquise de haute lutte, certes sans jamais avoir été journaliste, sans jamais avoir réalisé la moindre enquête et sans jamais avoir révélé une quelconque information, mais après avoir fait vos « preuves » en étant successivement, après de brillantes études à l’ENS, à Sciences Po et à l’ENA, attention ce n’est pas simple à suivre : auditeur à la Cour des comptes (1988-1992), conseiller ministériel (1992-1993), secrétaire général puis directeur général adjoint d’Air France (1993-1997), président-directeur général de CGV (1997-2000), directeur général puis président de Canal+ France (2000-2002), directeur général distribution chez Pinault-Printemps-La Redoute (2002-2003), président-directeur général de la FNAC (2003-2008), directeur général délégué, directeur de la publication puis président du directoire du Nouvel Observateur (2008-2010), président-directeur général d’Europe 1, responsable du pôle d’information de Lagardère Active puis président de Lagardère Active (2010-2019) avant de rejoindre CMI France (président depuis 2019) et Editis (président depuis 2023), tout en devenant dans le même temps directeur général de Libération (depuis 2020), quel talent.

Une bien belle carrière en somme, qui vous a permis de vous constituer un joli carnet d’adresses au sein des réseaux économiques, politiques et médiatiques, et de mettre au passage un peu d’argent de côté avec non seulement des rémunérations à la hauteur du prestige des postes occupés mais aussi un capacité certaine à grappiller quelques indemnités de départ lors de vos changements d’employeurs, comme lorsque vous avez obtenu un joli parachute doré de 3,2 millions d’euros nets d’impôts quand vous avez quitté Canal+ en 2002, félicitations. Notons que votre tendance marquée à passer d’un groupe à l’autre vous a valu certaines critiques, à l’instar de ce commentaire d’un autre grand patron cité par le Canard enchaîné dans un portrait qui vous était consacré en 2010 (1) : « Il a adopté la tactique dite du nénuphar. Telle la grenouille, qui saute de plante en plante. Et il se barre juste avant l’échec, juste avant que cela ne se voie ». Vos compétences semblent en effet loin de faire l’unanimité, comme l’expliquaient, toujours dans ce portrait du Canard enchaîné, un patron de presse (« Il est plus doué pour les relations publiques que pour la gestion ») et un élu socialiste (« Il est plus fort pour faire parler de lui que pour accomplir quoi que ce soit »), chaude ambiance.

Mais qu’importe, votre CV et vos réseaux semblent séduire les capitalistes ambitieux, et force est de constater que votre dernier « transfert », de Lagardère à CMI France, a été particulièrement remarqué, entre autres et notamment parce que vous avez joué, c’est le moins que l’on puisse dire, un drôle de jeu, en organisant, fin 2018 et début 2019, les négociations pour la vente de plusieurs magazines du groupe Lagardère (Elle, Version Femina, Art & Décoration, Télé 7 Jours, France Dimanche, Ici Paris et Public) à un certain Daniel Křetínský, avant d’être embauché quelques semaines plus tard, une fois la transaction conclue, par un certain Křetínský Daniel, c’est audacieux. Difficile de nous empêcher ici de citer le commentaire, à votre propos, de l’un des salariés concernés par cette étrange vente au cours de laquelle, serait-on tenté de dire, vous avez joué un peu discret rôle d’agent double : « On était médusés. Il nous a vendus à un oligarque tchèque et on le retrouve à l’étage au-dessus », autrement dit bien vu mais ça s’est vu.

De là à affirmer, cher Denis Olivennes, que vous êtes davantage préoccupé par vos intérêts propres que par ceux des groupes qui vous emploient il y a un pas que nous ne franchirons pas, a fortiori depuis que nous avons découvert l’existence de la société « Denis Olivennes Conseil » (« DOC »), spécialisée dans « [le] conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » et dont l’objet est notamment, d’après ses statuts, « [les] activités de conseil, d’assistance, d’étude et de stratégie, plus généralement de fournitures de services commerciaux, notamment en matière d’organisation, de management, de restructurations et de ressources humaines », ça fait rêver. Une société créée avec un faible capital (3000 actions à un euro) mais qui génère d’importants revenus (1,63 million de résultat net pour l’exercice 2023, 4,27 millions entre 2020 et 2024) et dont vous êtes, c’est vrai que c’est plus simple comme ça, le seul associé, le seul actionnaire et, bien évidemment, le président.

C’est fort de cette découverte — et en fouinant un peu — que nous avons pu nous délecter, entre autres, de savoureux comptes rendus de « réunions » de DOC auxquelles vous êtes seul à participer, assortis de procès-verbaux dans lesquels on apprend par exemple que « l’associé unique, après lecture de son rapport de gestion, approuve les comptes annuels », le contraire eût été pour le moins gênant, mais aussi que « l’associé unique » (vous) a pris l’habitude de décider, souverainement bien sûr, de distribuer, au regard du remarquable boulot fourni par le travailleur unique (vous), de généreux dividendes annuels à l’actionnaire unique (vous), à hauteur de 850 000 euros en 2022, 1,5 million d’euros en 2023 et — seulement — 350 000 euros en 2024, on espère que l’année n’a pas été trop difficile. Le tout en n’oubliant pas de préciser dans les PV, on avoue qu’on a eu du mal à se retenir de rire, que « l’associé unique rappelle en tant que de besoin qu’il n’a perçu aucune rémunération pour l’exercice de ses fonctions de Président au cours de l’exercice écoulé », votre dévouement vous perdra.

Votre sens de l’altruisme est tel qu’il semble d’ailleurs avoir essaimé au sein de CMI France, qui n’hésite pas à mettre en œuvre de généreux partenariats, à l’instar de celui qui a été conclu au cours de l’année 2019 avec l’ancien mannequin devenue « influenceuse mode » Inès de La Fressange, concrétisé entre autres par le rachat de sa publication hebdomadaire la Lettre d’Inès (« Chaque jeudi, je me réjouis de partager avec toi mes bonnes adresses, mes coups de cœur, mais aussi mes souvenirs de voyages. ») et par l’édition de hors-séries du magazine Elle sous sa direction. Un partenariat au sujet duquel certains et certaines ont un peu grincé des dents, puisqu’il a été conclu seulement quelques mois après votre arrivée à la tête de CMI France et que l’ancien mannequin, dont il n’est évidemment pas question de discuter ici les compétences professionnelles, s’avère être par ailleurs votre compagne, mais sans doute ne s’agit-il là que d’une immense coïncidence, il y en a qui voient vraiment le mal partout.

La générosité semble d’ailleurs être l’un des ciments du couple que vous formez avec Inès de La Fressange, comme en témoigne une affaire rendue publique par le Canard enchainé en 2015, qui avait alors révélé que la « gouvernante » de la jolie propriété provençale de votre compagne avait décidé de vous poursuivre tous les deux en justice pour « travail dissimulé » et « licenciement abusif », tout de même. La presse résumait les choses comme suit : « Chantal Moreau était logée depuis 2013 dans un mobile-home situé sur la propriété. Pour effectuer les tâches domestiques (courses, entretien de la piscine, etc.), ou encore veiller sur les neuf hectares du domaine, celle-ci était rémunérée 1560 euros bruts par mois, soit 94 euros de plus que le SMIC. Elle devait en outre s’acquitter de 350 euros pour la location mensuelle du modeste mobile-home, dans lequel elle vivait avec son fils. Limogée en septembre [2015] après son refus de prendre le statut d’auto-entrepreneur, elle ne percevait plus de revenu depuis lors », merci patrons (2).

À défaut de respecter les salariés et le droit du travail vous avez au moins le mérite, cher Denis Olivennes, de mettre en adéquation vos discours et vos pratiques, vous qui avez sans discontinuer, depuis des décennies, ressassé la plupart des antiennes néolibérales, de votre livre l’Impuissance publique, co-écrit en 1989 avec Nicolas Baverez, expert en « thérapies de choc » ultra-libérales et pourfendeur des 35 heures qui généreraient « alcoolisme », « violence » et « délinquance », à votre ouvrage — paru en janvier dernier — la France doit travailler plus… et les Français être mieux payés, autrement dit « Travailler plus pour gagner plus », c’est original, en passant par votre note de 1994 pour la fondation Saint-Simon, subtilement titrée « La préférence française pour le chômage » (3), dans laquelle vous défendiez notamment la thèse selon laquelle le développement du chômage serait dû à un « coût du travail » trop élevé, la droite balladurienne au pouvoir avait adoré.

Vous intervenez ainsi régulièrement dans le débat public pour prodiguer vos bons conseils, qu’il s’agisse d’expliquer, au moment de la mobilisation pour les retraites en 2023, « [qu’]il y a bien des critiques à faire à la réforme des retraites mais [que] si nous voulons protéger et développer notre modèle redistributif, il faut travailler plus », d’affirmer que « sans croissance économique, il n’y aura rien à partager, car on ne peut pas distribuer ce que l’on n’a pas » et qu’à ce titre « le monde promis par Greta Thunberg est un cauchemar », ou de prétendre que « c’est parce que nous ne travaillons pas assez que nous devons taxer plus pour financer notre État-providence. Et c’est parce que nous taxons trop le travail, qu’une partie des Français préfère rester à la maison plutôt que d’aller au bureau ou à l’usine », il est vrai que lorsque l’on s’est versé 2,7 millions d’euros de dividendes au cours des trois dernières années et que l’on contraint ses salariés à adopter le statut d’auto-entrepreneur on est bien placé pour faire des leçons sur les efforts nécessaires.

À ce stade de notre missive, il nous semble nécessaire de préciser à nos lecteurs et lectrices que, malgré ce CV bien chargé, vous n’avez jamais cessé de prétendre que vous étiez « de gauche », défense de rire, et gare à celles et ceux qui oseraient en douter, comme vous l’expliquiez au Monde en 2008 : « Je suis étiqueté à droite de la gauche. Il y a bien longtemps que j’ai décidé de ne plus me défendre, je me sens aussi à gauche que les gens de gauche si ce n’est plus et je les emmerde ! », OK Lénine. Un engagement radical qui vous a notamment amené à faire partie du collectif les Gracques, aréopage de hauts fonctionnaires proches ou membres du PS qui avait appelé, lors de la présidentielle de 2007, à un rapprochement avec l’UDF de François Bayrou, attention à ne pas être trop à gauche quand même, et qui s’est donné comme président Bernard Spitz, par ailleurs numéro 1 de ce repaire de gauchistes qu’est la Fédération française de l’assurance. Un collectif au sein duquel vous avez pu côtoyer entre autres Éric Lombard, l’actuel ministre de l’Économie et des Finances qui affirme appartenir à « une gauche qui n’aime pas l’impôt », ce que l’on appelle plus communément la droite, et qui a déclaré cette année à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) un patrimoine de près de 21 millions d’euros, vos amis de gauche sont décidément des gens de qualité.

Et c’est sans doute fort de ces expériences et de ces amitiés que vous vous êtes senti investi de la noble mission de « rénover la gauche », comme vous l’exposiez dans une lettre adressée aux lecteurs et lectrices du Nouvel Observateur lorsque vous avez pris la direction de l’hebdomadaire en 2008, moyennant une modeste rémunération de 300 000 euros annuels, affirmant votre volonté de fonder « [une] gauche moderne [qui] réfute aussi bien la démagogie que le fatalisme [et qui est] soucieuse à la fois de croissance économique, de justice sociale, de développement des libertés et des droits, de respect écologique et d’ambition culturelle », c’est beau comme du Laurent Joffrin. Le patron du Nouvel Observateur Claude Perdriel expliquait alors que vous étiez « à la fois social-démocrate, respectant l’économie de marché, mais à gauche », intéressant, tout en précisant qu’avant de vous recruter il avait pensé proposer le poste à Franz-Olivier Giesbert, pas toujours simple à suivre vos histoires quand même. Quoi qu’il en soit, dès votre arrivée à la tête de l’hebdomadaire, vous avez pris une décision radicale, histoire de marquer le coup, ainsi que le relatait, non sans ironie, le magazine Capital : « À l’Obs, il bénéficiait d’une Chrysler de fonction avec chauffeur. Too much pour un journal de gauche ! Il l’a troquée pour une Smart, toujours avec chauffeur », la voilà la gauche qu’on aime.

Les années ont passé mais vous n’avez pas renoncé à « réinventer » la gauche, même si l’on doit noter que vous avez fait le choix d’adopter un ton un peu plus vindicatif, comme lorsque vous affirmez que « la gauche socialiste est hostile au travail, la gauche anticapitaliste déteste l’entreprise, la gauche écologiste s’oppose au progrès technique et la gauche décoloniale ne croit plus au mérite », rien que ça. Sensible à l’air du temps, vous vous en prenez en outre à « cette nouvelle gauche née dans les campus américains, qui lutte contre toutes les injustices racistes, sexistes, environnementalistes jugées liées les unes aux autres, ce qu’on appelle la culture "woke", [qui] est tout bonnement un puritanisme sans dieu. Et un puritanisme qui, au lieu d’exécrer l’oisiveté, abhorre au contraire l’activité ! », marre de ces wokes qui ne veulent pas être auto-entrepreneurs. Sans oublier votre hostilité sans limite vis-à-vis de La France insoumise, à propos de laquelle vous avez récemment écrit ce qui suit : « LFI cela ressemble tellement au système stalinien : culte du chef, gouvernement par la terreur, purges, absence de toute démocratie interne. Et ça ne pourrait produire au pouvoir que les mêmes drames », et d’ailleurs il n’y aura même pas de gouvernantes dans les goulags.

Des déclarations, chacun l’avouera, tout en finesse, mais c’est sûrement cela que vous appelez « une gauche réformiste et tolérante qui rêve d’un monde plus généreux et n’aime rien tant que l’échange d’idées et la pluralité des points de vue en son sein » (4). Et c’est sans doute également ce goût pour la modération et la qualité du débat qui vous a amené à qualifier, attention les yeux, de « purification ethnique anti-association juive » le refus, de la part du mouvement féministe, de la présence du collectif « Nous vivrons » dans le cortège du 8 mars dernier (5). Vous semblez pourtant être parfois capable de faire montre d’un esprit soucieux de la nuance, comme lorsque vous expliquiez doctement, il y a à peine plus de trois mois, donc en pleine guerre génocidaire à Gaza, « [qu’]Israël s’efforce de respecter le droit. Et quand elle ne le fait pas, sa Cour suprême la condamne… car c’est une démocratie », avec de telles prises de position nul doute que l’on peut compter sur vous pour construire « un monde plus généreux ».

Cher Denis Olivennes, votre altruisme, votre sens du collectif et votre subtilité sont, les années passant, devenues légendaires dans les différentes entreprises à la tête desquelles vous avez sévi, notamment au sein du champ médiatique, où vous vous être distingué par de nombreux faits d’armes, entre autres :

- en réalisant dans le Nouvel Observateur, en juillet 2009, une « interview exclusive » de l’alors président de la république Nicolas Sarkozy, à la demande de ce dernier, un dimanche, sans juger utile de consulter auparavant la rédaction du journal, à laquelle vous avez en revanche cru bon d’envoyer un mail lapidaire (« Rendez-vous demain matin à la réunion de 9h30 pour voir comment on bouscule le journal »), ce qui fut fort apprécié ;

- en embarquant, en septembre 2011, à bord de l’avion du même Nicolas Sarkozy, en partance pour la Libye, sans juger utile, là encore, d’en informer la rédaction d’Europe 1 dont vous étiez alors le patron ;

- en réussissant l’exploit d’être visé, en septembre 2014, par une motion de défiance des salariés du magazine Elle dont vous étiez en charge via vos responsabilités à Lagardère Active, « un geste rare dans une rédaction habituellement décrite comme légitimiste » (le Monde), suite au licenciement brutal de la directrice Valérie Toranian ;

- en étant la cible, en octobre 2015, d’une motion de défiance des salariés de la division presse de Lagardère, qui protestaient « face au démantèlement du pôle presse de Lagardère Active » que vous dirigiez alors ;

- en faisant l’objet, en janvier 2017, d’une « motion sur l’état d’urgence » à Europe 1, adoptée à l’unanimité par les salariés de la station, qui demandaient entre autres « le retour à un management qui respecte le savoir-faire des équipes et qui les associe à toutes les étapes de la reconquête » ;

- en étant confronté, en mars 2018, à une seconde motion de défiance des salariés de Lagardère Active, inquiets des ventes de magazines auxquelles vous étiez en train de procéder sans les consulter ;

- Etc.

Ce qui ne vous a pas empêché de vous présenter en patron modèle lors de votre audition devant l’Arcom pour défendre le projet qui allait aboutir à la création de la chaîne T18, affirmant que vous n’aviez « jamais eu de motion d’une société de rédacteurs qui se plaigne d’une intervention, d’une censure », chacun pourra juger de la sincérité de vos propos au regard de la liste — non exhaustive — que nous avons réalisée ci-dessus, et l’avenir de T18 nous dira, nous n’en doutons pas, si les promesses engagent quelqu’un d’autre que ceux qui y croient.

Au total, votre parcours ressemble à celui d’un mercenaire prêt à offrir ses services et son précieux carnet d’adresses au plus offrant, qui passe d’une entreprise à l’autre sans se préoccuper d’autre chose que de s’assurer des gratifications symboliques et de confortables revenus, quitte à faire passer ses intérêts propres au-dessus de ceux de l’entreprise en question et, bien évidemment, au mépris des salariés, de leurs emplois et de leurs conditions de travail. L’un des derniers exemples en date à ce titre, qui vient s’ajouter aux protestations et grèves suite à votre arrivée à la tête d’Editis en 2023, est votre reprise en main pour le moins autoritaire de Marianne, propriété de CMI France, qui s’est soldée par le départ de plus d’un tiers de la rédaction du journal, entre autres suite à l’une de vos interventions, rapportée à Blast par l’un des journalistes de l’hebdomadaire : « Olivennes est venu parler à la rédaction pour imposer une ligne pro-business, pro-atlantique et on a arrêté d’enquêter sur les pouvoirs. L’investigation n’est plus une priorité ». L’un des journalistes qui a décidé de quitter le journal, Jack Dion, a quant à lui expliqué que vous aviez « mis [votre] veto à la reprise de Marianne par des représentants de l’économie sociale et solidaire, avant de proposer une normalisation de la ligne éditoriale du journal massivement condamnée par la rédaction », félicitations à vous.

Cher Denis Olivennes, la position que vous occupez aujourd’hui dans le champ médiatique est en réalité l’une des expressions de l’état de délabrement de ce dernier, désormais quasi exclusivement entre les mains d’oligarques tel votre patron Daniel Křetínský, que vous aidez à s’acheter de l’influence via l’injection, dans les médias, du capital accumulé par l’exploitation du charbon et du gaz, autrement dit « une fortune dont l’origine n’est, littéralement, pas très propre ». Mais de toute évidence pour vous l’argent n’a pas d’odeur, en témoigne le fait que vous avez approché, dans le but de le placer à la tête de Marianne, le très droitier Alexandre Devecchio, rédacteur en chef des pages débats du Figaro et chroniqueur sur CNews, mais aussi et surtout que vous étiez prêt à organiser la vente de l’hebdomadaire au milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, l’un des derniers venus au sein d’un univers dans lequel vous semblez, tant mieux pour vous, vous sentir comme un poisson dans l’eau, même si cette dernière est de plus en plus fétide.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Nous n’avons pas retrouvé l’article original du Canard enchaîné, mais des citations dans l’Express et dans Capital.

(2) L’affaire s’est conclue par un accord « à l’amiable » et sur une transaction financière dont le montant n’a pas été révélé.

(3) Une note parue quelques mois plus tard sous forme d’article dans la revue le Débat.

(4) Extrait du texte que vous avez rédigé dans le Nouvel Observateur lors du départ de l’« historique » Jacques Julliard.

(5) Contrairement aux fake news alors diffusées, ce refus de la présence du collectif « Nous vivrons » ne témoignait nullement d’une quelconque forme d’antisémitisme mais reposait sur des raisons politiques qui ont été longuement exposées.

Cher Denis Olivennes - Boxing Day #37

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