L’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin a été auditionné ce jeudi par le juge d’instruction en charge de l’enquête sur la catastrophe de la rue d’Aubagne. Peut-être le signe d’une accélération dans une enquête qui dure depuis trois ans, autour d’un drame qui avait suscité l’émoi national.
Depuis qu’il a quitté son bureau de l’Hôtel de ville, Jean-Claude Gaudin occupe ses journées entouré d’amis, ces fidèles qui étaient sa garde rapprochée et ont constitué le cœur de son pouvoir. Le retraité invite, également : ces derniers temps, plusieurs journalistes de la presse locale ont été conviés autour d’une bonne table - on ne se refait pas – pour discuter de l’air du temps, et bien sûr de politique. Au cours de ces agapes, on ne parle pas que du passé. A ces confrères chanceux, l’ex distille ses fines analyses. Il n’oublie jamais de rappeler que Benoît Payan, son successeur, l’appelle régulièrement pour lui demander conseil sur les affaires de la ville - au minimum, c’est lui qui l’assure, chaque semaine. Et surtout, autour d’une soupière de bouillabaisse fumante (novembre marque la fin de la saison de la daurade royale), Gaudin vend à ses invités une de ces petites histoires dont il a le secret.
On peut être "rangé des meubles" et voir loin. En effet, l’histoire servie à nos confrères est censée structurer l’offre des municipales de... 2026 - quand Benoît Payan tentera de se faire réélire, cette fois par le suffrage universel (1). Distillé sous le regard complice de l’ancien journaliste Jean-Pierre Chanal, son ex-directeur général adjoint des services, qui quarante ans durant et sous diverses casquettes a servi sa cause, ce scénario vend comme certain un redoutable adversaire pour Benoît Payan : un certain... Renaud Muselier.
Face à leur interlocuteur, entre deux louches, les deux hôtes l’assurent : l’actuel président LR de la Région Paca, lui-même ex-premier adjoint de Jean-Claude Gaudin, a déjà installé une cellule secrète chargée de préparer l’échéance... Au-delà de ces spéculations et de ces « poussettes » destinées à alimenter des indiscrets dans les colonnes des journaux, difficile de savoir si l’actualité judiciaire est également passée en revue, à l’heure du dessert. Celle en particulier qui concerne au premier chef... Jean-Claude Gaudin – qui s’est longtemps vanté de n’avoir jamais eu d’accrocs avec la justice - et Jean-Pierre Chanal, avec deux enquêtes pilotées par le PNF, qui flottent au-dessus de leur crâne comme une épée de Damoclès : l’affaire dite des heures supplémentaires (sur la durée du temps de travail, chez les fonctionnaires de la ville) et celle du cabinet de l’ancien-maire (avec ses missions qui servaient à remercier les vieux soldats de la gaudinie).
Dans la vie, il n’y a pas que les plaisirs de la table. On ne sait pas si Jean-Claude Gaudin avait programmé un invité à midi à la sienne mais en revanche il avait un autre rendez-vous au décorum plus simple et a priori moins convivial, ce jeudi matin. Sans nappe blanche ni couverts, l’ancien sénateur LR l’a honoré, contraint par une invitation. En effet, c’est une information Blast, confirmée par le parquet de Marseille puis par l'intéressé dans l’après-midi sur son compte Facebook, il a rendu visite de bonne heure à un magistrat, à son cabinet : Matthieu Grand, le juge d’instruction en charge du dossier de la rue d’Aubagne, souhaitait l’entendre comme témoin. Le retraité est reparti du palais de justice de Marseille un peu avant 11 heures, après 3 heures passées sur place.
Contacté via son avocat en fin de matinée, Jean-Claude Gaudin n’a pas répondu à Blast. En revanche, il a (donc) diffusé un message sur Facebook dans lequel il indique avoir « répondu » « à toutes » les questions « afin que la justice puisse pleinement exercer son rôle », face à ce drame « dont la mémoire hante toujours [son] esprit ». On n’en saura pas plus mais cette audition semble marquer une étape importante dans ce dossier, trois ans après la tragédie – dont on a « fêté » l’anniversaire le 5 novembre.
Dans cette affaire, plusieurs mises en examen avaient été prononcées en novembre 2020, pour « homicides involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité », « blessures involontaires » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Elles concernent un élu, l’ancien adjoint à la sécurité, la prévention et la gestion des risques Jean-Pierre Ruas, le syndic d’un des deux immeubles effondré et la société d’économie mixte Marseille Habitat, bras armé de la politique de logement de la municipalité, propriétaire de l’autre immeuble de la rue d’Aubagne.
Cette affaire de la rue d’Aubagne et ses huit victimes mortes sous les décombres a marqué d’une tache indélébile la fin de règne de Jean-Claude Gaudin, la France entière découvrant l’état de l’habitat dans la seconde ville du pays. L’indifférence de l’édile, qui avait désigné… la pluie comme responsable de la catastrophe (et n’avait daigné que tardivement et du bout des lèvres témoigner d’un peu d’humanité), n’a pas été pour rien dans la sidération de l’opinion publique. Cristallisant le mécontentement, ce drame a été un des ferments pour cimenter la coalition de gauche et actuelle majorité du Printemps marseillais et a entraîné le délogement de milliers de personnes, qui ont dû quitter précipitamment leurs toits insalubres. Le sujet n’est pas réglé, loin de là, et Marseille est loin de mériter son brevet de dignité, Blast l’a déjà souligné dans une enquête pointant l’inaction des pouvoirs publics, publiée en juin dernier.
Selon les associations et le Collectif du 5 novembre, près de 6 000 Marseillais et Marseillaises sont toujours délogés. Ce 15 novembre, une nouvelle version de la Charte du relogement a été signée par la ville de Marseille et l’Etat, avec les collectifs et les associations.
(1). L’actuel maire de Marseille a hérité de son fauteuil de la démission en décembre 2020 de Michèle Rubirola (devenue à sa place 1ère adjointe), élue six mois plus tôt par le conseil municipal après avoir porté la candidature du Printemps marseillais devant les électeurs.
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